Droit des Jeux d'argent et de hasard: mai 2008

15.5.08

Conseil d'Etat, 9 mai 2008 (SOCIETE ZETURF LIMITED et l' Affaire du monopole du PMU

Vu la requête, enregistrée le 25 novembre 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE ZETURF LIMITED, dont le siège est Veletta Buildings 4th floor Flat 19 South-Street à Valetta (VLT 11), Malte ; la SOCIETE ZETURF LIMITED demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler la décision implicite née du silence gardé par le ministre de l'agriculture en réponse à sa demande formulée le 18 juillet 2005 tendant à l'abrogation de l'article 27 du décret n° 97-456 du 5 mai 1997 relatif aux sociétés de courses de chevaux et au pari mutuel, en particulier son premier alinéa ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre et au ministre de l'agriculture, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, d'abroger le premier alinéa de l'article 27 du décret n° 97-456 du 5 mai 1997 relatif aux sociétés de courses de chevaux et au pari mutuel ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la cour de justice des communautés européennes d'une question préjudicielle afin de déterminer si le décret du 5 mai 1997 est compatible avec les stipulations du traité instituant la Communauté européenne ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;





Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment ses articles 49 et 50 ; 

Vu la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux ; 

Vu la loi de finances du 16 avril 1930, notamment son article 186 ;

Vu le décret n° 97-456 du 5 mai 1997 ; 

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Damien Botteghi, Auditeur,

- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat du GIE Pari mutuel urbain,

- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement,




Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement, n'est tenue d'y déférer que pour autant que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature ou que son illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Considérant que la SOCIETE ZETURF LIMITED, immatriculée à Malte, est prestataire de services de jeux hippiques sur internet ; que sa requête doit être regardée comme tendant à l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande d'abrogation du premier alinéa de l'article 27 du décret du 5 mai 1997 relatif aux sociétés de courses de chevaux et au pari mutuel ; que cet article dispose que les sociétés de course, seules habilitées à organiser les courses de chevaux en application de l'article 2 de la loi du 2 juin 1891 ainsi que le pari mutuel hors hippodromes en application de l'article 5 de la même loi, confient la gestion de ce dernier à un groupement d'intérêt économique constitué entre elles dénommé Pari mutuel urbain (PMU) ; que ce groupement, dont les statuts sont soumis à l'approbation du ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé du budget, est administré par un conseil d'administration de dix membres, lequel comprend quatre représentants de l'Etat, et est soumis au contrôle économique et financier de ce dernier ; que les  enjeux engagés par les parieurs leur sont redistribués selon le mécanisme du pari mutuel, après déduction de prélèvements effectués pour l'un en faveur de l'Etat, pour l'autre au profit de la filière équine ; 

Sur les moyens tirés de la méconnaissance de l'habilitation législative et de la liberté du commerce et de l'industrie :

Considérant que le gouvernement, qui tenait de l'article 5 de la loi du 2 juin 1891 les plus larges pouvoirs pour déterminer les conditions dans lesquelles les sociétés de course pourraient, « en vertu d'une autorisation spéciale et toujours révocable du ministre de l'agriculture » organiser le pari mutuel hors hippodromes, pouvait décider, ainsi qu'il en a disposé par le premier alinéa de l'article 27 du décret du 5 mai 1997, que les sociétés de course confieraient la gestion du pari mutuel au groupement dénommé Pari Mutuel Urbain ; que, ce faisant, contrairement à ce qui est soutenu, il n'a pas excédé l'étendue de l'habilitation résultant de la loi du 2 juin 1891 ; 

Considérant que le principe selon lequel seules les sociétés de course dont les statuts sociaux auront été approuvés par le ministre de l'agriculture après avis du conseil supérieur des haras disposent d'un droit exclusif pour organiser les paris hors hippodromes, résulte des dispositions de la loi du 2 juin 1891 et non de la disposition litigieuse du décret du 5 mai 1997 prise pour son application, qui se borne, ainsi qu'il a été dit, à déterminer le mode de gestion de cette activité ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'alinéa premier de l'article 27 du décret du 5 mai 1997 porte une atteinte illégale à la liberté du commerce et de l'industrie est inopérant et doit, pour ce motif, être écarté ; 

Sur le moyen tiré de la violation de la liberté de prestation de services garantie par le droit communautaire : 

Considérant qu'aux termes de l'article 49 du traité instituant la Communauté européenne : « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation (...) » et qu'en vertu de l'article 50 du même traité : « Au sens du présent traité, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. Les services comprennent notamment : a) des activités de caractère industriel, b) des activités de caractère commercial, c) des activités artisanales, d) les activités des professions libérales. » ; 

Considérant qu'une législation nationale autorisant les jeux d'argent de façon limitée ou dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, en ce qu'elle restreint l'exercice d'une activité économique, porte atteinte à la libre prestation de services ; que, toutefois, une telle atteinte peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le traité ou si elle est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, telles que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l'individu et la société qui entourent les jeux et paris ; que, même justifiée, l'entrave ne peut, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des communautés européennes, notamment par ses arrêts n° C-243/01 du 6 novembre 2003 et n° C-338/04 du 6 mars 2007, être acceptée que si les mesures restrictives ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs assignés, si elles sont propres à garantir leur réalisation et si elles sont mises en oeuvre d'une manière cohérente et systématique par une politique qui, si elle peut impliquer l'offre d'une gamme de jeux étendue, une publicité d'une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution, n'est pas pour autant expansionniste ; 

Considérant que le premier alinéa du décret du 5 mai 1997, qui réserve l'exercice de l'activité économique que constitue la gestion du pari mutuel hors hippodromes à un groupement d'intérêt économique, s'il n'instaure pas d'inégalité de traitement susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d'autres Etats membres de l'Union européenne - dès lors que ses dispositions s'appliquent indistinctement à tous les opérateurs susceptibles d'exploiter les paris hippiques hors hippodromes quelle que soit leur nationalité - est toutefois de nature à limiter, pour les prestataires de service ressortissants d'un des Etats membres de l'Union européenne ou installés à l'intérieur de celle-ci, la libre prestation de services que constitue l'exploitation du pari mutuel hors hippodromes ; qu'il constitue ainsi une restriction à la libre prestation de services ;

Considérant que la société requérante soutient que les autorités nationales ne démontrent pas l'existence d'une raison impérieuse d'intérêt général justifiant la restriction que la disposition litigieuse du décret du 5 mai 1997 apporte à la libre prestation de services ; qu'à supposer même qu'elle puisse être établie, la règle restrictive que la disposition pose n'est pas proportionnée aux objectifs poursuivis ; que le groupement dénommé Parti Mutuel Urbain conduit une politique commerciale expansionniste fondée sur l'incitation au jeu et à la dépense, qui n'est pas cohérente avec les buts assignés à la réglementation ;

Considérant que le ministre de l'agriculture soutient au contraire que le choix de confier la gestion des paris hippiques hors hippodromes à un seul opérateur sans but lucratif, dont les circuits financiers sont contrôlés et surveillés par l'Etat et qui propose les paris sous forme mutuelle avec un taux de retour aux joueurs limité, a pour but la protection de l'ordre social, eu égard aux effets du jeu sur les individus et la société, et celle de l'ordre public, afin de lutter contre l'utilisation des jeux d'argent à des fins criminelles ou frauduleuses ; qu'il contribue en outre au développement rural par le financement de la filière équine ; que la politique de croissance que le groupement Parti Mutuel Urbain a menée, sans que le nombre de courses proposées aux paris dans le réseau terrestre comme sur Internet, qui est inférieur à celui constaté dans certains autres pays européens, n'ait augmenté, se justifie par l'objectif de lutter efficacement contre la tentation du jeu en maintenant une offre légale attrayante pour que les joueurs s'orientent vers des activités autorisées et réglementées ; qu'elle ne s'est pas traduite par un accroissement substantiel du nombre de parieurs sur la moyenne période ; 

Considérant que la Cour de justice des Communautés Européennes a été saisie, en application du b) de l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne, de plusieurs questions posées par des juridictions portugaise, belge, allemande et autrichienne portant sur la compatibilité des législations nationales relatives aux paris et aux jeux avec le droit communautaire, dont le principe de libre prestation de service ; que ces questions portent sur des dispositifs proches de celui en vigueur en France pour la gestion hors hippodrome du pari mutuel ; qu'en ce qui concerne la conformité de ce dernier au droit communautaire, sont déterminantes les réponses que la Cour peut apporter à la question de la hiérarchisation des objectifs recherchés en cas de contradiction partielle entre eux et à celle du cadre de leur examen ;

Considérant qu'est ainsi déterminante en premier lieu la réponse à la question de savoir si les articles 49 et 50 du traité instituant la communauté européenne doivent être interprétés comme s'opposant à une réglementation nationale qui consacre un régime d'exclusivité des paris hippiques hors hippodromes en faveur d'un opérateur unique sans but lucratif laquelle, si elle semble propre à garantir l'objectif de lutte contre la criminalité et ainsi de protection de l'ordre public d'une manière plus efficace que ne le feraient des mesures moins restrictives, s'accompagne pour neutraliser le risque d'émergence de circuits de jeu non autorisés et canaliser les joueurs vers l'offre légale, d'une politique commerciale dynamique de l'opérateur qui n'atteint pas en conséquence complètement l'objectif de réduire les occasions de jeux ;

Considérant qu'est de même, en second lieu, déterminante pour la résolution du présent litige, la question de savoir s'il convient d'apprécier l'atteinte à la libre prestation de services du seul point de vue des restrictions apportées à l'offre de paris hippiques en ligne ou s'il convient de prendre en considération l'ensemble du secteur des paris hippiques quelle que soit la forme sous laquelle ceux-ci sont proposés et accessibles aux joueurs ; 

Considérant qu'il y a lieu de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, en application de l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne, de ces deux questions et de surseoir à statuer sur la requête de la SOCIETE ZETURF LIMITED jusqu'à ce que cette Cour se soit prononcée ; 




D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de la SOCIETE ZETURF LIMITED jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur les questions suivantes :

1°) Les articles 49 et 50 du traité instituant la communauté européenne doivent-ils être interprétés comme s'opposant à une réglementation nationale qui consacre un régime d'exclusivité des paris hippiques hors hippodromes en faveur d'un opérateur unique sans but lucratif laquelle, si elle semble propre à garantir l'objectif de lutte contre la criminalité et ainsi de protection de l'ordre public d'une manière plus efficace que ne le feraient des mesures moins restrictives, s'accompagne pour neutraliser le risque d'émergence de circuits de jeu non autorisés et canaliser les joueurs vers l'offre légale, d'une politique commerciale dynamique de l'opérateur qui n'atteint pas en conséquence complètement l'objectif de réduire les occasions de jeux '

2°) Convient-il, pour apprécier si une réglementation nationale telle que celle en vigueur en France, qui consacre un régime d'exclusivité de gestion du pari mutuel hors hippodromes en faveur d'un opérateur unique sans but lucratif, contrevient aux articles 49 et 50 du traité instituant la Communauté européenne, d'apprécier l'atteinte à la libre prestations de services du seul point de vue des restrictions apportées à l'offre de paris hippiques en ligne ou de prendre en considération l'ensemble du secteur des paris hippiques quelle que soit la forme sous laquelle ceux ci sont proposés et accessibles aux joueurs '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ZETURF LIMITED, au GIE Pari mutuel urbain, au ministre de l'agriculture et de la pêche, à la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, au Premier ministre et au président de la Cour de justice des Communautés européennes.