Droit des Jeux d'argent et de hasard: Arrêt Arrêt Stanleybet et Sportingbet - CJUE 24 Janvier 2013 (affaires C‑186/11 et C‑209/11)

23.2.13

Arrêt Arrêt Stanleybet et Sportingbet - CJUE 24 Janvier 2013 (affaires C‑186/11 et C‑209/11)

 Arrêt Stanleybet et Sportingbet - CJUE 24 Janvier 2013
La possibilité de préserver les monopoles relatifs à l'organisation des jeux d'argent et de hasard se confirme une nouvelle fois. Selon la CJUE, en fonction du niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social que les autorités grecques entendent assurer, évalué sur la base de critères objectifs et non discriminatoires, les monopoles d’État peuvent être maintenus.


ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre) 
24 janvier 2013

«Articles 43 et 49 CE – Réglementation nationale octroyant un droit exclusif pour l’administration, la gestion, l’organisation et l’exploitation de jeux de hasard à une seule entreprise ayant la forme juridique d’une société anonyme, cotée en Bourse – Publicité pour les jeux de hasard et expansion dans d’autres États membres de l’Union européenne – Contrôle exercé par l’État» 

Dans les affaires jointes C‑186/11 et C‑209/11, 

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Symvoulio tis Epikrateias (Grèce), par décisions du 21 janvier 2011, parvenues à la Cour, respectivement, les 20 avril 2011 et 4 mai 2011, dans les procédures 

Stanleybet International Ltd (C‑186/11), 
William Hill Organization Ltd (C‑186/11), 
William Hill plc (C‑186/11), 
Sportingbet plc (C‑209/11) 

contre 

Ypourgos Oikonomias kai Oikonomikon, 
Ypourgos Politismou, 
en présence de: Organismos prognostikon agonon podosfairou AE (OPAP), 

LA COUR (quatrième chambre), 

composée de M. L. Bay Larsen, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. J.-C. Bonichot, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges, 
avocat général: M. J. Mazák, 
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal, 
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juin 2012, 

considérant les observations présentées: 

– pour Stanleybet International Ltd, par Mes G. Dellis, P. Kakouris, et G. Troufakos, dikigoroi, ainsi que par Mes R. A. Jacchia, I. Picciano, A. Terranova et D. Agnello, avvocati,
– pour William Hill Organization Ltd et William Hill plc, par Me G. A. Antonakopoulos, dikigoros, 
– pour Sportingbet plc, par Mes S. Alexandris et P. Anestis, dikigoroi, 
– pour l’Ypourgos Oikonomias kai Oikonomikon et l’Ypourgos Politismou, par M. S. Detsis, en qualité d’agent, 
– pour l’Organismos prognostikon agonon podosfairou AE (OPAP), par Mes G. Gerapetritis et G. Ganotis, dikigoroi, 
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes G. Papadaki et E.-M. Mamouna ainsi que par MM. E. Synoikis et I. Bakopoulos, en qualité d’agents, 
– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, assistées de Me P. Vlaemminck, advocaat, 
– pour le gouvernement polonais, par Mme D. Lutostańska ainsi que par MM. P. Kucharski et M. Szpunar, en qualité d’agents, 
– pour le gouvernement portugais, par Mme A. Silva Coelho, en qualité d’agent, 
– pour la Commission européenne, par Mme M. Patakia et M. I. Rogalski, en qualité d’agents, ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 septembre 2012, 

rend le présent 

Arrêt 

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE. 

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, le premier (C‑186/11), Stanleybet International Ltd (ci-après «Stanleybet») ainsi que William Hill Organization Ltd et William Hill plc (ci-après, ensemble, «William Hill») et, le second (C‑209/11), Sportingbet plc (ci-après «Sportingbet») à l’Ypourgos Oikonomias kai Oikonomikon (ministre de l’Économie et des Finances) et à l’Ypourgos Politismou (ministre de la Culture), au sujet du refus tacite opposé par les autorités helléniques aux demandes respectives formulées par Stanleybet, William Hill et Sportingbet d’être autorisées à prester des services de paris en Grèce, l’Organismos prognostikon agonon podosfairou AE (OPAP) (ci-après l’«OPAP») étant partie intervenante dans chacun de ces litiges. 

Le cadre juridique 

Le droit hellénique 

La loi 2433/1996 

3 De l’exposé des motifs de la loi 2433/1996 (FEK A’ 180), qui a institué le monopole de l’État dans le secteur de l’organisation de jeux de hasard, il ressort que cette législation a pour objectif principal la répression des paris clandestins qui «ont pris ces dernières années, [en Grèce], la forme d’une épidémie», la nécessité d’accroître les recettes destinées au sport constituant un objectif accessoire. En outre, cet exposé des motifs souligne qu’«il est jugé nécessaire d’imposer un bulletin pour toutes les formes de paris [...] de manière à rendre plus efficace [en Grèce] la répression des paris clandestins, qui ont, entre autres, pour conséquence directe l’exportation de devises, parce que les sociétés qui organisent à présent des jeux clandestins en Grèce coopèrent avec des sociétés étrangères et reçoivent aussi de tels paris pour le compte de celles-ci». 

4 Les articles 2 et 3 de cette loi sont libellés comme suit: 

«Article 2 

1. Un décret présidentiel [...] autorise l’émission d’un bulletin de pari ‘à cote fixe ou non’ sur les jeux individuels ou collectifs de toute nature, comme sur des événements dont la nature se prête à l’organisation d’un pari [...]. L’[OPAP] est désigné comme gestionnaire du bulletin de pari concerné [...] 2. Quiconque organise un pari sans en avoir le droit [...] est puni d’une peine d’emprisonnement [...] 

Article 3 

1. Les frais annuels de publicité concernant les jeux [...] que l’ΟΡΑΡ organise ou qu’il a l’intention d’organiser dans le futur sont répartis proportionnellement entre l’ΟΡΑΡ et les autres organismes qui participent aux droits résultant de chaque jeu de l’ΟΡΑΡ [...] 

5. L’OPAP a le droit d’utiliser jusqu’à 10 % des espaces des stades et gymnases nationaux, municipaux et communaux destinés à la publicité afin d’y apposer des panneaux de publicité de ses produits sans être tenu de verser une rémunération [...]» 

Le décret présidentiel 228/1999 

5 Les articles 1er et 2 du décret présidentiel 228/1999 (FEK A’ 193) disposent: 

«Article 1 Est constituée une société anonyme dénommée [OPAP]. [...] La société opère dans l’intérêt public selon les règles de l’économie privée. [...] Article 2 «1. [L’OPAP] a pour objet: a) l’organisation, l’exploitation et l’administration, par elle ou en coopération avec des tiers, des jeux PRO PO [...] ainsi que de tout autre jeu de hasard que le conseil d’administration voudrait décider dans le futur, dans tout le pays et en dehors de celui-ci, pour le compte de l’État hellénique [...]; b) la gestion des jeux susmentionnés, mais aussi de ceux dont l’organisation serait envisagée dans le futur, est assurée en exclusivité par la société [OPAP], pour le compte de l’État hellénique [...]» 

La loi 2843/2000 

6 L’article 27 de la loi 2843/2000 (FEK A’ 219), telle que modifiée par la loi 2912/2001 (FEK A’ 94, ci-après la «loi 2843/2000»), est rédigé comme suit: 

 «1. L’État peut céder à des investisseurs, par l’intermédiaire de la Bourse des valeurs d’Athènes, un pourcentage allant jusqu’à 49 % du capital social de [l’OPAP]

2. a) Par un contrat conclu entre l’État grec, représenté par les ministres des Finances et de la Culture, compétent en matière de sport [...] et l’ΟΡΑΡ, est concédé à l’ΟΡΑΡ, pour une durée de vingt (20) ans, le droit d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter les jeux qu’il organise aujourd’hui, conformément aux dispositions en vigueur, ainsi que des jeux ‘Bingo Lotto’, ‘Kino’ [...] 

b) Par une décision du conseil d’administration de l’ΟΡΑΡ, qui est approuvée par les ministres des Finances et de la Culture, compétent en matière de sport, est adopté, pour chaque jeu de l’ΟΡΑΡ, un règlement d’organisation, qui régit les questions concernant l’objet des jeux, leur organisation et leur exploitation en général, les conditions financières d’organisation des jeux et, notamment, les pourcentages qui sont attribués aux joueurs à titre de gain, les pourcentages de gains par catégorie de gagnants, le prix de la colonne et les pourcentages de commission des agents. [...] 

c) Le contrat visé au paragraphe 2, sous a), ci-dessus définit les conditions d’exercice par l’ΟΡΑΡ et de l’éventuel renouvellement du droit prévu à ce paragraphe, la contrepartie versée pour la concession de ce droit, son mode de paiement, les obligations plus spécifiques de l’ΟΡΑΡ et, en particulier, celles relatives aux principes de transparence des procédures d’organisation des jeux et de protection de l’ordre social et des joueurs [...] 

9.a) Au cas où la loi permet l’organisation d’un nouveau jeu, outre ceux mentionnés au paragraphe 2, sous a), ci-dessus, est constituée […] une commission spéciale qui a pour tâche de définir les termes et conditions de la concession de l’organisation d’un jeu à l’ΟΡΑΡ et la contrepartie y afférente. […] Si l’ΟΡΑΡ refuse d’assumer l’organisation du jeu, l’État peut en attribuer lui-même l’organisation. S’il est permis d’attribuer l’organisation du jeu concerné à un tiers, la contrepartie ne peut être inférieure à celle qui a été proposée à l’ΟΡΑΡ. En ce qui concerne, en particulier, tout jeu futur concernant des événements sportifs, son organisation peut être confiée exclusivement à l’ΟΡΑΡ.» 

La loi 3336/2005 

7 L’article 14, paragraphe 1, de la loi 3336/2005 (FEK A’ 96) a modifié l’article 27 de la loi 2843/2000 qui prévoit désormais ce qui suit: 

«[L]’État peut céder à des investisseurs, par l’intermédiaire de la Bourse d’Athènes, un pourcentage pouvant aller jusqu’à 66 % du capital social de [l’OPAP]. Le pourcentage de la participation de l’État au capital social de l’OPAP ne peut être inférieur à 34 %.» 

 La loi 3429/2005 

8 Il ressort de l’article 20 de la loi 3429/2005 (FEK A’ 314) que le droit pour l’État de nommer la majorité des membres du conseil d’administration a été supprimé. Les litiges au principal et les questions préjudicielles 

9 Stanleybet, William Hill et Sportingbet sont des sociétés dont le siège social est établi au Royaume-Uni où elles détiennent l’autorisation d’organiser des jeux de hasard. 

10 Ainsi qu’il résulte des décisions de renvoi, en Grèce, par les lois 2433/1996 et 2843/2000, ainsi que par le contrat conclu entre l’OPAP et l’État hellénique en 2000, le droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter des jeux de hasard et des bulletins de paris à cote fixe ou non a été concédé pour une période de 20 ans à l’OPAP, soit jusqu’en 2020. 

11 L’OPAP, initialement une entreprise publique détenue à 100 % par l’État hellénique, a été transformée en société anonyme en 1999 et a été cotée à la Bourse d’Athènes en 2001, l’État gardant, à l’issue de cette entrée en Bourse, 51 % du capital social de l’OPAP. 

12 En 2005, l’État a décidé de devenir actionnaire minoritaire en ne conservant que 34 % des actions de l’OPAP. Depuis l’entrée en vigueur de la loi 3336/2005, même si l’État hellénique ne conservait plus qu’une participation minoritaire dans le capital de l’OPAP, il disposait toutefois du droit de nommer la majorité des membres du conseil d’administration de cette société. Ce droit lui a été retiré par l’article 20 de la loi 3429/2005, dans la mesure où cette prérogative était contraire à la loi codifiée 2190/1920 relative aux sociétés anonymes (FEK A’ 37), cette loi prévoyant que les membres du conseil d’administration des sociétés anonymes sont élus exclusivement par l’assemblée générale. 

13 L’État hellénique a toutefois continué d’exercer une surveillance sur l’OPAP, notamment en approuvant les règlements relatifs à son activité et en supervisant la procédure d’organisation des jeux. Cependant, de l’avis majoritaire des conseillers de la juridiction de renvoi, l’OPAP n’est surveillée que de manière superficielle par l’État. 

14 L’OPAP a étendu son activité tant en Grèce qu’à l’étranger. Ainsi, le 31 mars 2005, l’OPAP avait déjà créé 206 agences à Chypre, sur la base d’un accord helléno-chypriote en la matière. De plus, en vue de développer ses activités à Chypre, l’OPAP a constitué, en 2003, la société OPAP Kyprou et, en 2004, la société OPAP International. 

15 Il est constant que l’OPAP fixe le montant maximal de la mise ainsi que du gain par bulletin et non par joueur et que, s’agissant de la publicité pour les jeux de hasard qu’elle organise, elle bénéficie de conditions préférentielles puisqu’elle a le droit d’utiliser à titre gratuit jusqu’à 10 % des espaces destinés à la publicité dans les stades et les gymnases nationaux, municipaux et communaux. 

16 Le 25 novembre 2004, Stanleybet a introduit un recours devant la juridiction de renvoi visant l’annulation du refus tacite des autorités helléniques de faire droit à sa demande concernant l’autorisation d’organiser, sur le territoire grec, des paris sportifs. Deux autres recours ayant un objet similaire ont été introduits devant la juridiction de renvoi respectivement par William Hill, le 18 juillet 2007, et par Sportingbet, le 5 janvier 2007, cette dernière ayant également sollicité l’autorisation d’organiser les jeux de hasard existant déjà sur le marché grec. L’OPAP a été admise comme partie intervenante dans ces procédures. 

17 De l’avis majoritaire des conseillers de la juridiction de renvoi, la réglementation nationale en cause au principal, qui attribue à l’OPAP une situation monopolistique, ne peut être considérée comme justifiée au regard des articles 43 CE et 49 CE. Ils estiment que la réglementation nationale à l’origine de cette situation ne trouve pas de justification au regard de la nécessité de réduire l’offre de jeux de hasard, de manière cohérente et efficace, et de limiter les activités qui y sont liées. Une telle restriction ne serait pas non plus justifiée par l’objectif affiché de la répression de la criminalité liée aux jeux de hasard, dès lors que, conformément à l’avis majoritaire des conseillers de la juridiction de renvoi, l’expansion du secteur des jeux de hasard en Grèce ne saurait être qualifiée de contrôlée. 

18 Selon l’avis minoritaire des conseillers de la juridiction de renvoi, la situation de monopole organisée par la réglementation nationale en cause au principal est justifiée au regard des articles 43 CE et 49 CE, puisque l’objectif principal poursuivi par cette réglementation est non pas la nécessité de réduire l’offre de jeux de hasard, mais la répression de la criminalité liée à ces derniers, objectif qui est poursuivi grâce à une politique d’expansion contrôlée du secteur des jeux de hasard. 

19 Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes: 

 «1) Une législation nationale qui, pour atteindre l’objectif consistant à limiter l’offre de jeux de hasard, concède le droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter les jeux de hasard à une entreprise unique, qui a la forme d’une société anonyme et qui est cotée en Bourse, est-elle compatible avec les dispositions des articles 43 CE et 49 CE, lorsque, en outre, cette entreprise fait de la publicité pour les jeux de hasard qu’elle organise et s’étend dans des pays étrangers, que les joueurs participent librement et que le montant maximal du pari et du gain est fixé par bulletin et non par joueur? 

2) En cas de réponse négative à la première question préjudicielle, une législation nationale qui, visant exclusivement à lutter contre la criminalité grâce à l’exercice d’un contrôle sur les entreprises qui opèrent dans le secteur en question, de manière à faire en sorte que ces activités soient exercées uniquement à l’intérieur des circuits contrôlés, concède le droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter des jeux de hasard à une seule entreprise est-elle compatible avec les dispositions des articles 43 CE et 49 CE, même lorsque cette concession a parallèlement pour effet une expansion illimitée de l’offre concernée? Ou bien convient-il, en tout cas, que, pour que la limitation en question soit considérée comme propre à réaliser l’objectif de lutte contre la criminalité, l’expansion de l’offre soit, de toute façon, contrôlée, c’est-à-dire qu’elle ait seulement l’ampleur requise par la réalisation de cet objectif? Au cas où cette expansion doit absolument être contrôlée, peut-elle être considérée comme telle, de ce point de vue, si un droit exclusif est concédé dans le secteur en question à un unique organisme ayant les caractéristiques décrites dans la première question préjudicielle? Enfin, au cas où la concession du droit exclusif en question est considérée comme conduisant à une expansion contrôlée de l’offre de jeux de hasard, cette concession effectuée à une seule et unique entreprise excède-t-elle ce qui est nécessaire, en ce sens que le même objectif peut aussi être atteint utilement si ce droit est concédé à plus d’une entreprise? 

3) Si, à la suite des deux questions préjudicielles susmentionnées, la Cour juge que la concession, par les dispositions nationales pertinentes en l’espèce, du droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter des jeux de hasard n’est pas compatible avec les articles 43 CE et 49 CE: 

a) Est-il admissible, au regard de ces dispositions du traité, que les autorités nationales n’examinent pas, pendant la durée d’une période transitoire, nécessaire à l’adoption de dispositions compatibles avec le traité CE, les demandes introduites par des personnes légalement établies dans d’autres États membres en vue d’exercer les activités concernées? 

b) En cas de réponse affirmative, sur la base de quels critères, la durée de cette période transitoire est-elle fixée? 

c) Si une période transitoire n’est pas admissible, sur la base de quels critères, les autorités nationales doivent-elles apprécier les demandes concernées?» 

Sur les questions préjudicielles 

Sur les première et deuxième questions 

 20 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient de traiter conjointement, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui octroie le droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter des jeux de hasard à un organisme unique dans la mesure où, alors même que l’objectif de la réglementation nationale est soit de limiter l’offre de jeux de hasard soit de favoriser la lutte contre la criminalité liée aux jeux de hasard, l’entreprise qui s’est vu conférer ce droit exclusif mène une politique commerciale expansionniste. 

21 Il est constant qu’une réglementation d’un État membre, telle que celle décrite par la juridiction de renvoi, constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE ou à la liberté d’établissement garantie par l’article 43 CE en ce qu’elle consacre le monopole de l’OPAP et interdit à des prestataires tels que Stanleybet, William Hill et Sportingbet, établis dans un autre État membre, d’offrir des jeux de hasard sur le territoire hellénique (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2010, Stoß e.a., C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, Rec. p. I‑8069, point 68 et jurisprudence citée). 

22 Il convient toutefois d’apprécier si une telle restriction peut être admise au titre des mesures dérogatoires, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, expressément prévues aux articles 45 CE et 46 CE, applicables également en matière de libre prestation des services en vertu de l’article 55 CE, ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général (arrêt du 19 juillet 2012, Garkalns, C‑470/11, non encore publié au Recueil, point 35 et jurisprudence citée). 

23 Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, les restrictions aux activités des jeux de hasard peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu (arrêt Garkalns, précité, point 39 et jurisprudence citée). 

24 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que la réglementation des jeux de hasard fait partie des domaines dans lesquels des divergences considérables d’ordre moral, religieux et culturel existent entre les États membres. En l’absence d’une harmonisation communautaire en la matière, il appartient à chaque État membre d’apprécier, dans ces domaines, selon sa propre échelle de valeurs, les exigences que comporte la protection des intérêts concernés (arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, Rec. p. I‑7633, point 57 et jurisprudence citée). 

25 En l’occurrence, s’agissant des objectifs déclarés comme étant poursuivis par la réglementation en cause au principal, à savoir la limitation de l’offre de jeux de hasard et la lutte contre la criminalité liée à ces jeux en les canalisant dans le cadre d’une expansion contrôlée, il y a lieu de rappeler qu’ils sont parmi ceux reconnus par la jurisprudence comme étant de nature à justifier des restrictions aux libertés fondamentales dans le secteur des jeux de hasard (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2012, Costa et Cifone, C‑72/10 et C77/10, non encore publié au Recueil, point 61 et jurisprudence citée). 

26 Toutefois, l’identification des objectifs effectivement poursuivis par la réglementation nationale relève, dans le cadre d’une affaire dont est saisie la Cour au titre de l’article 267 TFUE, de la compétence de la juridiction de renvoi (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2011, Dickinger et Ömer, C-347/09, non encore publié au Recueil, point 51). 

27 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les restrictions imposées par les États membres doivent satisfaire aux conditions de proportionnalité et de non-discrimination les concernant, telles que dégagées par la jurisprudence de la Cour. Ainsi, une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, points 59 à 61 et jurisprudence citée). 

28 La seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. Celles-ci doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités compétentes de l’État membre concerné et du niveau de protection qu’elles entendent assurer (arrêt du 12 juillet 2012, HIT et HIT LARIX, C‑176/11, non encore publié au Recueil, point 25 et jurisprudence citée). 

 29 Un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé peut, par conséquent, ainsi que la Cour l’a admis dans sa jurisprudence, être fondé à considérer que seul l’octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit de la part des pouvoirs publics est de nature à leur permettre de maîtriser les risques liés au secteur des jeux de hasard et de poursuivre l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux et de lutte contre l’assuétude au jeu d’une façon suffisamment efficace (voir arrêt du 30 juin 2011, Zeturf, C‑212/08, non encore publié au Recueil, point 41). 

30 Pour autant qu’elles respectent l’exigence de proportionnalité susmentionnée, il est en effet loisible aux autorités publiques nationales de considérer que le fait que, en leur qualité de contrôleur de l’organisme investi du monopole, elles disposeront de moyens additionnels leur permettant d’influer sur la conduite de celui-ci en dehors des mécanismes régulateurs et de surveillances légaux est susceptible de leur assurer une meilleure maîtrise de l’offre de jeux de hasard et de meilleures garanties d’efficacité dans la mise en œuvre de leur politique qu’en cas d’exercice de ces activités par des opérateurs privés en situation de concurrence, ces derniers fussent-ils assujettis à un système d’autorisation et soumis à un régime de contrôle et de sanctions (arrêt Zeturf, précité, point 42). 

31 S’agissant du premier objectif relatif à la limitation de l’offre des jeux de hasard, tel qu’il a été mentionné au point 25 du présent arrêt, il incombe aux juridictions nationales de s’assurer, notamment au vu des modalités concrètes d’application de la réglementation restrictive concernée, que celle-ci réponde véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt Garkalns, précité, point 44 et jurisprudence citée). 

32 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi est notamment fondée à tenir compte des divers éléments caractérisant le cadre réglementaire de l’OPAP et la manière dont cet organisme fonctionne en pratique, tels que ces éléments ont été mis en évidence dans la décision de renvoi, comme le fait que l’OPAP disposerait de certains droits et privilèges en ce qui concerne la publicité effectuée pour les jeux de hasard qu’il organise, ou encore, le fait que la mise maximum serait fixée par bulletin de jeu et non par joueur. C’est toutefois à ladite juridiction qu’il appartient de déterminer si de tels éléments et tous autres qui s’avéreraient pertinents dans cette perspective sont de nature à conduire à la conclusion que la réglementation en cause au principal ne satisfait pas aux exigences rappelées au point précédent du présent arrêt. 

 33 S’agissant du second objectif relatif à la lutte contre la criminalité liée aux jeux de hasard, il incombe également à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière notamment de l’évolution du marché de jeux de hasard au niveau national, que le contrôle étatique auquel les activités de l’entreprise détenant le monopole sont soumises est effectivement mis en œuvre dans la poursuite cohérente et systématique des objectifs visés par l’institution du système d’exclusivité en faveur d’une telle entreprise (voir, en ce sens, arrêt Zeturf, précité, point 62 et jurisprudence citée). 

34 À cet égard, il convient de rappeler que le caractère effectif de ce contrôle étatique doit être apprécié par la juridiction de renvoi en tenant compte du fait qu’une mesure aussi restrictive qu’un monopole doit, entre autres, être soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques (voir, en ce sens, arrêt Zeturf, précité, point 58). 

35 En effet, si certains éléments mis en évidence dans la décision de renvoi, en particulier, le fait que l’OPAP est une société anonyme côtée en Bourse et l’appréciation selon laquelle l’OPAP ne serait surveillée que de façon superficielle par l’État hellénique, paraissent de nature à suggérer qu’il pourrait ne pas être satisfait aux exigences rappelées aux points 33 et 34 du présent arrêt, c’est toutefois à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’apprécier si tel est le cas, en tenant compte desdits éléments et de tous autres qui s’avéreraient pertinents dans cette perspective. 

36 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre aux première et deuxième questions préjudicielles que les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui octroie le droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter des jeux de hasard à un organisme unique, lorsque, d’une part, cette réglementation ne répond pas véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique et, d’autre part, lorsqu’un contrôle strict par les autorités publiques de l’expansion du secteur de jeux de hasard, dans la seule mesure nécessaire à la lutte contre la criminalité liée à ces jeux, n’est pas assuré, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. 

Sur les première et deuxième parties de la troisième question 

37 Aux termes de la première partie de la troisième question, la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir si, en cas d’incompatibilité de la réglementation nationale en matière d’organisation de jeux de hasard avec les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement, les autorités nationales peuvent s’abstenir, durant une période transitoire, d’examiner des demandes, telles que celles en cause au principal, concernant l’octroi d’autorisations dans le secteur des jeux de hasard. 

38 La Cour a déjà jugé à cet égard que, en raison de la primauté du droit de l’Union directement applicable, une réglementation nationale relative à un monopole public dans le domaine des jeux de hasard qui, selon les constatations opérées par une juridiction nationale, comporte des restrictions incompatibles avec la liberté d’établissement et la libre prestation des services, faute pour lesdites restrictions de contribuer à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique, ne peut continuer à s’appliquer pendant une période transitoire (arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten, C‑409/06, Rec. p. I‑8015, point 69). 

39 Par conséquent, il convient de répondre à la première partie de la troisième question que, en cas d’incompatibilité de la réglementation nationale en matière d’organisation de jeux de hasard avec les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement, les autorités nationales ne peuvent pas s’abstenir, durant une période transitoire, d’examiner des demandes, telles que celles en cause au principal, concernant l’octroi d’autorisations dans le secteur des jeux de hasard. 

40 Eu égard à la réponse apportée à la première partie de la troisième question, il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième partie de celle-ci. 

Sur la troisième partie de la troisième question 

41 Aux termes de la troisième partie de la troisième question, la juridiction de renvoi cherche en substance à déterminer, compte tenu des réponses apportées aux questions précédentes, les critères sur la base desquels les autorités nationales compétentes doivent examiner des demandes d’autorisation, telles que celles en cause au principal, et quelles sont les conséquences à tirer d’un éventuel refus d’octroi d’une période transitoire en ce qui concerne l’issue de la procédure d’examen de telles demandes d’autorisation. 

42 Il résulte, certes, du point 38 du présent arrêt, que le principe de la primauté du droit de l’Union directement applicable s’oppose à l’octroi, en l’occurrence, d’une période transitoire. 

43 Il reste toutefois à savoir si l’éventuelle constatation de l’incompatibilité de la réglementation nationale en cause avec les articles 43 CE et 49 CE accompagnée d’un refus d’octroi d’une période transitoire sont de nature à contraindre les autorités nationales à délivrer les autorisations demandées, telles que celles en cause dans l’affaire au principal, au terme de la procédure d’examen. 

44 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le domaine particulier de l’organisation des jeux de hasard, les autorités nationales bénéficient d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comporte la protection du consommateur et de l’ordre social et, pour autant que les conditions établies par la jurisprudence de la Cour sont par ailleurs respectées, il appartient à chaque État membre d’apprécier si, dans le contexte des buts légitimes qu’il poursuit, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités relevant des jeux et des paris, ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes (voir arrêt Garkalns, précité, point 38 et jurisprudence citée). 

45 Il est également constant que, à la différence de l’instauration d’une concurrence libre et non faussée au sein d’un marché traditionnel, l’application d’une telle concurrence dans le marché très spécifique des jeux de hasard, c’est-à-dire entre plusieurs opérateurs qui seraient autorisés à exploiter les mêmes jeux de hasard, est susceptible d’entraîner un effet préjudiciable, lié au fait que ces opérateurs seraient enclins à rivaliser d’inventivité pour rendre leur offre plus attrayante que celle de leurs concurrents et, de cette manière, à augmenter les dépenses des consommateurs liées au jeu ainsi que les risques de dépendance de ces derniers (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2010, Sporting Exchange, C‑203/08, Rec. p. I‑4695, point 58). 

46 Il y a donc lieu de constater que le refus d’octroi d’une période transitoire en cas d’incompatibilité de la réglementation nationale avec les articles 43 CE et 49 CE n’entraîne pas nécessairement l’obligation de l’État membre concerné de libéraliser le marché des jeux de hasard s’il devait estimer qu’une telle libéralisation n’est pas compatible avec le niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social que cet État membre entend assurer. En effet, en l’état actuel du droit de l’Union, une réforme du monopole existant afin de le rendre compatible avec les dispositions du traité, en le soumettant notamment à un contrôle effectif et strict de la part des autorités publiques, reste ouverte aux États membres. 

47 En tout état de cause, si l’État membre concerné devait estimer qu’une réforme du monopole existant, afin de le rendre compatible avec les dispositions du traité, n’est pas envisageable et que la libéralisation du marché des jeux de hasard répond mieux au niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social qu’il entend assurer, il sera tenu de respecter les règles fondamentales des traités, notamment les articles 43 CE et 49 CE, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (voir, en ce sens, arrêt Costa et Cifone, précité, point 54 et jurisprudence citée). Dans un tel cas, l’introduction dans cet État membre d’un régime d’autorisation administrative préalable en ce qui concerne l’offre de certains types de jeux de hasard doit être fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne puisse être utilisé de manière arbitraire (voir, en ce sens, arrêts du 8 septembre 2010, Carmen Media Group, C‑46/08, Rec. p. I‑8149, point 90, ainsi que Costa et Cifone, précité, point 56 et jurisprudence citée). 

48 Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la troisième partie de la troisième question que, dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, les autorités nationales compétentes peuvent apprécier les demandes d’autorisation d’organisation de jeux de hasard qui leur sont soumises en fonction du niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social qu’elles entendent assurer, mais sur la base de critères objectifs et non discriminatoires. 

Sur les dépens 

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit: 

1) Les articles 43 CE et 49 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui octroie le droit exclusif d’administrer, de gérer, d’organiser et d’exploiter des jeux de hasard à un organisme unique, lorsque, d’une part, cette réglementation ne répond pas véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique et, d’autre part, lorsqu’un contrôle strict par les autorités publiques de l’expansion du secteur de jeux de hasard, dans la seule mesure nécessaire à la lutte contre la criminalité liée à ces jeux, n’est pas assuré, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. 

2) En cas d’incompatibilité de la réglementation nationale en matière d’organisation de jeux de hasard avec les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement, les autorités nationales ne peuvent pas s’abstenir, durant une période transitoire, d’examiner des demandes, telles que celles en cause au principal, concernant l’octroi d’autorisations dans le secteur des jeux de hasard. 

 3) Dans des circonstances telles que celles des affaires au principal, les autorités nationales compétentes peuvent apprécier les demandes d’autorisation d’organisation de jeux de hasard qui leur sont soumises en fonction du niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social qu’elles entendent assurer, mais sur la base de critères objectifs et non discriminatoires. 


Matthieu Escande
Posté par :
Matthieu ESCANDE
Docteur en Droit / Ph.D in Law
Elève avocat / Trainee solicitor
Spécialiste des jeux d'argent et de hasard