Droit des Jeux d'argent et de hasard: Cour d'appel de Limoges : L'organisateur d'une loterie qui annonce un gain s'oblige à le délivrer

10.7.14

Cour d'appel de Limoges : L'organisateur d'une loterie qui annonce un gain s'oblige à le délivrer

L'organisateur d'une loterie qui annonce un gain s'oblige à le délivrer
L'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer. Il ne peut non plus se retrancher derrière le caractère banal de sa démarche commerciale en se référant à l'article notamment à L 121-1 du code de la consommation. 






Cour d'appel de Limoges
chambre civile
Audience publique du mercredi 19 mars 2014

N° de RG: 13/00467

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


COUR D'APPEL DE LIMOGES
CHAMBRE CIVILE
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ARRET DU 19 MARS 2014 
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RG N : 13/ 00467
AFFAIRE :
Mme Danièle X...
C/
SA AGENCE DE MARKETING APPLIQUE " AMA "
Le DIX NEUF MARS DEUX MILLE QUATORZE la CHAMBRE CIVILE a rendu l'arrêt dont la teneur suit par mise à la disposition du public au greffe :

ENTRE :

Madame Danièle X...
de nationalité Française, demeurant ...-03420 ARPHEUILLES SAINT PRIEST
représentée par Me Christophe DURAND-MARQUET, avocat au barreau de LIMOGES, Me Serge GOYON, avocat au barreau de MOULINS
 APPELANTE d'un jugement rendu le 06 JUILLET 2010 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MOULINS CEDEX

ET :

SA AGENCE DE MARKETING APPLIQUE " AMA "
dont le siège social est Drève Gustave Fache 1-7700 MOUSCRON BELGIQUE
représentée par la SELARL DAURIAC-COUDAMY-CIBOT SELARL, avocat au barreau de LIMOGES, Me Nicolas DEUR, avocat au barreau de NICE
INTIMEE

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Sur renvoi de cassation : jugement du tribunal de grande instance de Moulins en date du 06 JUILLET 2010- arrêt de la cour d'appel de Riom en date du 12 octobre 2011- arrêt de la Cour de cassation en date du 6 février 2013

Selon avis de fixation, l'affaire a été fixée à l'audience du 22 Janvier 2014 avec arrêt rendu le 19 février 2014, l'ordonnance de clôture a été rendue le 11 décembre 2013, la Cour étant composée de Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, de Monsieur Pierre-Louis PUGNET et de Monsieur Gérard SOURY, Conseillers, assistés de Madame Elysabeth AZEVEDO, Greffier. A cette audience, Monsieur le Premier Président a été entendu en son rapport oral, les avocats des parties sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients.

Puis Monsieur Alain MOMBEL, Premier Président, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 19 Mars 2014 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi.

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LA COUR
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FAITS ET PROCÉDURE

Madame Danielle X... a été destinataire de la part de l'Agence de Marketing Appliqué (SA AMA), société belge de vente par correspondance, de documents publicitaires qui la déclarait gagnante d'un chèque de 23 100 euros et d'un chèque de 22 500 euros.

Attendu que ne recevant pas les règlements annoncés, elle a assigné la SA AMA en paiement des gains ainsi annoncés devant le tribunal de grande instance de Moulins.

Par jugement en date du 06 juillet 2010 le tribunal a considéré, sur le fondement de l'article 1371 du code civil, qu'en libellant ses documents publicitaires comme des annonces nominatives de gains, sans mettre en évidence, de manière claire, précise, non ambigüe et dans les mêmes conditions de présentation, l'existence d'un aléa, la SA AMA s'est obligée, par ce fait de sa seule volonté, à délivrer les gains annoncés

Il a donc condamné cette SA à payer à Mme X... la somme de 45 600 euros outre 1500 euros en application de l'article en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La SA AMA à interjeté appel de cette décision et par arrêt du 12 octobre 2011 la cour d'appel de RIOM a infirmé le jugement, débouté Mme X... et rejeté l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour a estimé, en particulier, que les mentions au dos de l'offre étaient suffisamment précises et claires sur le caractère aléatoire de l'offre pour que Mme X... qui au surplus n'avait pas envoyé son bon de participation pour la première offre, n'ait pas eu la conviction de gains définitifs, qu'ainsi, l'illusion du gain était dissipée par la lecture normalement attentive des documents et d'un règlement complet du jeu.

Sur le pourvoi de Mme Danielle X..., la Cour de Cassation, au visa de l'article 1371 du code civil, a jugé qu'en se déterminant ainsi, alors que l'existence de l'aléa affectant l'attribution du prix doit être mis clairement en évidence, à première lecture, dès l'annonce du gain, la cour d'appel à violé le texte susvisé,

Elle a en conséquence cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt du 12 octobre 2011 de la cour de Riom et remis en conséquence la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et renvoyé l'affaire devant cette cour.

La SA AMA demande dans ses conclusions :

- d'infirmer le jugement entrepris,


- dire et juger que les documents publicitaires dont Mme X... a été rendue destinataire mettaient en évidence à première lecture l'existence d'un aléa, s'agissant de l'attribution des prix principaux mis en jeu,

- dire et juger que cet aléa a été notamment mis en évidence dans le règlement du jeu dont Mme X... a pu prendre connaissance,

ce faisant :

- dire et juger que la société AMA n'a pris aucun engagement, à l'égard de Mme X... concernant le versement des prix principaux de 23100 euros et 22500 euros et la débouter de ses demandes.
- la condamner aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 3500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

De son côté Mme Providence, intimée, demande :

- de débouter la SA AMA de son appel déclaré mal fondé et de confirmer en conséquence le jugement du 6 juillet 2010 du tribunal de Moulins ;

- de condamner en conséquence la SA AMA à lui verser la somme de 3000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Mme X... motive sa décision en avançant que la SA AMA qui a déjà été condamnée pour le caractère trompeur de ses envois publicitaires, trompe ses destinataires par ses formules et emplacements choisis pour amener justement ceux-ci à croire en leurs gains.

MOTIFS

Attendu que sur le fondement de l'article 1371 du code civil, l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire à le délivrer ;


Qu'il appartient en conséquence au juge pour se déterminer de rechercher, à la lecture du document envoyé par l'organisateur, si à première lecture, dès l'annonce du gain, l'aléa affectant l'attribution du gain était mis clairement en évidence comme l'argue la SA Ama ou, comme l'affirme Madame X... que la présentation des indications de gain, de manière particulièrement répétitive et sans ambiguïté sans présentation évidente à première vue de l'existence d'un aléa, la rendait légitime à penser qu'elle était bel et bien l'heureuse gagnante du lot suite au tirage au sort

Attendu que les originaux versés au débat des document reçus par Mme X... permet de constater que l'engagement de verser les gains annoncés de 22 500 euros et 23 100 euros est repris de façon particulièrement répétitive et ferme par les mots en gros caractère de :

RÉSULTAT CONFIRME ET ASSURE vous avez officiellement gagné. 

Ou encore : 

CONFIRMATION DE PAIEMENT ou " c'est officiel vous êtes définitivement déclarée " GRANDE BÉNÉFICIAIRE D'UN CHÈQUE BANCAIRE DE 23 100 euros ;

Attendu que comme l'a précisé le jugement dont la cour fait siens les motifs, la présentation des documents est telle que tout ce qui est de nature à faire croire au destinataire du courrier qu'il a gagné une somme d'argent est mis en évidence et gros caractères alors qu'en revanche les indications de nature à faire penser qu'un aléa ou un pré tirage existerait sont présentées par les plus petits caractères du document, en des endroits et dans des couleurs les moins attirants pour les yeux ;
Attendu par ailleurs que la SA Ama ne peut soutenir pour s'exonérer de son engagement d'une part que Mme X... doit être considérée comme un consommateur normal et avisé qui ne peut soutenir avoir été abusée et d'autre part que sa démarche commerciale était une démarche normale et très banale ;
 
Attendu, en effet, qu à première vue, aucun aléa n'apparaît aux yeux du destinataire ; que ce n'est qu'après une lecture attentive des écritures formées des lettres les plus petites du document que l'on peut lire " attribution soumise à aléa-tirage gratuit " que seul le terme aléa est employé sans préciser en quoi il consiste en sorte qu'une personne ordinaire et non spécialisée en droit n'est pas en mesure de comprendre à première vue et sans aucune ambiguïté que le gain annoncé comme " CONFIRMÉ, ASSURÉ et DÉFINITIF " est soumis à un aléa ;

Que Mme X... âgée de 60 ans au moment où elle a été destinataire des documents en cause et qui n'est pas une spécialiste ou une juriste confirmée mais une consommatrice dotée d'une compréhension normale pouvait dès lors estimer qu'elle bénéficierait du gain annoncé sans autre condition que de renvoyer le document en question et éventuellement procéder à une commande d'article ;

Attendu que la SA Ama ne peut non plus se retrancher derrière le caractère banal de sa démarche commerciale qui a d'ailleurs été condamnée par l'arrêt de la cour d'appel de Mons en Belgique qui a ordonné sous astreinte la cessation de ces pratiques en se référant à l'article notamment à L. 121-1 du code de la consommation français compte tenu de la diffusion sur le territoire français ;


Attendu, enfin, qu'elle ne peut arguer, non plus, de la mention en tête de son enveloppe de transmission de " attribution soumise à aléa " cette mention étant écrite en très petites lettres difficilement lisibles alors qu'au dos de la même enveloppe est mentionné en lettres colorées bien apparentes et attirant l'attention : " envoi au grand gagnant de 22 500, 00 EUROS GARANTI, "

Que dès lors le jugement du tribunal de grande instance de MOULINS du 06 juillet 2010 sera, tant par adoption de ses motifs que par ceux propres exposés ici, confirmé ;

Attendu que la SA Ama qui succombe sera condamnée à payer à Mme X... une indemnité de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que pour les mêmes raisons la SA Ama sera condamnée aux dépens ;

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PAR CES MOTIFS 
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LA COUR

Statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, sur renvoi de Cassation, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 06 février 2013,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Moulins du 06 juillet 2010 ;

Condamne la SA Ama à payer Madame Danièle X... une indemnité de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens exposés tant devant la cour d'appel de Poitiers que devant celle de Limoges.


Matthieu Escande
Matthieu ESCANDE
Docteur en Droit / Ph.D in Law
MC AVOCATS
Expert en droit des jeux d'argent et de hasard