Droit des Jeux d'argent et de hasard: Tribunal de commerce de Paris, ordonnance de référé du 10 octobre 2014

18.10.14

Tribunal de commerce de Paris, ordonnance de référé du 10 octobre 2014


La mise en concurrence du Jeu "Expresso" exploité par Winamax n'est pas constittutive d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent. Les caractéristiques du jeu "Expresso" ne sont ni inédites, ni innovantes, ni originales. La demande de Winamax ne justifie pas d'une urgence et il n'y a donc pas lieu à référé en l'espèce.



Tribunal de commerce de Paris, ordonnance de référé du 10 octobre 2014


SAS WINAMAX / BETCLIC ENTERPRISES LIMITED et autres droit d’auteur - concurrence déloyale - parasitisme - jeux en ligne - investissements

Pour les motifs énoncés en son assignation introductive d’instance en date du 29, 31 juillet et 4 août 02014, signifiée aux sociétés ITECHSOFT GAME, BETCLIC EVEREST GROUP, SPS à personne habilitée et en application de l’article 686 CPC, pour les sociétés BETCLIC ENTERPRISES LIMITED, EVEREST GAMMING LIMITED, PLAYTECH et SPS BETTING France LIMITED, à laquelle il conviendra de se reporter quant à l’exposé des faits, la société SAS WINAMAX nous demande de :

Vu les articles 872 et 873 du code de procédure civile, Vu les articles 1382 et 1383 du code civil, Vu les pièces versées aux débats, Constater les agissements parasitaires des sociétés défenderesses. ORDONNER la cessation immédiate par les sociétés défenderesses de l’exploitation du jeu TWISTER. Ordonner à la société PLAYTECH exploitant la plateforme IPOKER de rendre le jeu inaccessible pour les joueurs situés en France. En tant que de besoin, ORDONNER sous astreinte de 5.000 Euros (cinq mille euros) par jour de retard si 48 heures après la décision à intervenir les sociétés défenderesses ne s’étaient toujours pas conformées à la décision à intervenir ordonnant la suspension de l’exploitation du jeu TWISTER. Dire que nous resterons saisis pour statuer sur la liquidation de ladite astreinte. Condamner les sociétés défenderesses solidairement au paiement de 5.000 Euros (cinq mille euros) à chacune au titre de l’article 700 du C.P.C ainsi qu’aux entiers dépens.

L’affaire appelée à l’audience du 19 août 2014 a fait l’objet d’un renvoi en référé cabinet le 16 septembre 2014.

Les sociétés SPS BETIING France LIMITED (UNIBET), ITECHSOFT GAME (TURBOPOKER), BETCLIC ENTERPRISES LIMITED (BEL), EVEREST GAMING LIMITED (EGL), BETLIC EVEREST GROUPE (BEG) et PLA YTECH se sont fait représenter et, après avoir soutenu oralement les moyens de leurs écritures, nous demandent aux termes de leurs conclusions déposées à l’audience du 16 septembre 2014, de :

Conclusions de SPS BETIING France LIMITED (UNIBET) et SAS SPS :
En application des articles 1382 du Code civil, 872 et 873 du Code de procédure civile,
I - Pour ce qui concerne la société SPS SAS Constater qu’elle n’est pas la société qui édite le site web www.unibet.fr, propose le jeu « TWISTER », contracte avec les joueurs et est agréée par I’ARJEL ; En conséquence : Dire que la société SPS SAS est hors de cause ; Débouter la société Winamax SAS de toutes ses demandes à son encontre ; Condamner la société Winamax SAS à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ; Condamner Winamax aux entiers dépens ;

Il - Pour ce qui concerne la société SPS BETTING FRANCE LIMITED Constater que les caractéristiques du jeu « EXPRESSO » ne sont ni innovantes ni originales ; Constater que la mise en œuvre du jeu « EXPRESSO » n’est le fruit ni d’un investissement financier ni d’un travail de recherche et développement de la part de la société Winamax SAS ; Constater qu’il n’existe aucun risque de confusion entre le jeu « TWISTER » et le jeu « EXPRESSO » ; Constater l’absence d’acte de parasitisme susceptible de créer un trouble manifestement illicite ; Constater l’absence de dommage imminent ; Constater l’absence d’urgence ; Constater que le présent litige se heurte à une contestation sérieuse ; En conséquence : Dire n’y avoir lieu à référé ; Débouter la société Winamax SAS de toutes ses demandes à son encontre ; Si, par extraordinaire, nous devions considérer le référé bien fondé, constater le caractère disproportionné de la mesure consistant à faire cesser toute exploitation du jeu « TWISTER » et, en conséquence, débouter Winamax de cette demande ; Si, par extraordinaire, nous devions ordonner à la société Playtech de cesser toute exploitation du jeu « TWISTER », dire qu’une telle exploitation restera autorisée au profit de la société SPS BETTING FRANCE LIMITED ; Condamner la société Winamax SAS à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ; Condamner la société Winamax SAS aux entiers dépens ;

Conclusions de ITECHSOFT GAME (TURBO POKER) :
Dire la société WINAMAX irrecevable et en toute hypothèse mal fondée en ses demandes ; Débouter la société WINAMAX de toutes ses demandes, fins et prétentions ; Dire n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la société WINAMAX ; Condamner la société WINAMAX au paiement de la somme de 5000€ sur le fondement de l’article 700 CPC ; La condamner en tous les dépens.
Conclusions de BETCLIC ENTERPRISES LIMITED (BEL), EVEREST GAMING LIMITED (EGL), BETCLIC EVEREST GROUPE (BEG) :

A titre liminaire : Prononcer la mise hors de cause de la société BETCLIC EVEREST GROUP ; En tout état de cause : Constater la contestation sérieuse quant aux actes de concurrence déloyale et parasitaires allégués par la société WINAMAX à l’encontre des sociétés BETCLIC ENTERPRISES LIMITED, EVEREST GAMING LIMITED et BETCLIC EVEREST GROUP ; Constater l’absence de démonstration de l’homologation du jeu EXPRESSO par I’ARJEL conformément à l’article 5.2 du Dossier des Exigences Techniques de I’ARJEL, visé par le décret du 18 mai 2010 relatif aux obligations imposées aux opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne ; Constater l’absence de démonstration d’un trouble manifestement illicite et/ou d’un dommage Imminent ; Dire qu’il n’y a lieu à référé ; Débouter la société WINAMAX de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ; Condamner la société WINAMAX à régler 10.000 euros à chacune des sociétés BETCLIC ENTERPRISES LIMITED, EVEREST GAMING LIMITED et BETCUC EVEREST GROUP ; Condamner la société WINAMAX aux entiers dépens.

Conclusions de PLAYTECH :

A titre principal : Nous déclarer territorialement incompétent au profit des juridictions de l’Ile de Man, en application de l’article 75 du Code de procédure civile ; A titre subsidiaire : Prononcer la nullité de l’acte introductif d’instance, en application de l’article 56-2 du Code de procédure civile ; A titre plus subsidiaire : Dire que la société WINAMAX est irrecevable en ses demandes pour défaut d’intérêt à agir, en application de l’article 122 et 124 du Code de procédure civile ; A titre encore plus subsidiaire : Prononcer la nullité du procès-verbal de constat du 20 juin 2014 constituant la pièce 6 de la demanderesse, en application de l’ordonnance n°45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers ; à tout le moins, l’écarter des débats pour défaut de force probante ; Dire qu’il existe une contestation sérieuse faisant obstacle à l’application de l’article 672 du Code de procédure civile ; Dire que l’absence de trouble manifestement illicite fait obstacle à l’application de l’article 673 du Code de procédure civile ; Dire n’y avoir lieu à référé ; Débouter la société WINAMAX de toutes ses demandes, fins et prétentions ; En tout état de cause : Condamner la société WINAMAX à verser à la société PLAYTECH la somme globale de 10 000 euros, en application de l’article 700 du Code de procédure civile ; Condamner la société WINAMAX aux entiers dépens,
Après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications et observations, nous avons remis la prononcé de notre ordonnance, par mise à disposition au greffe, le VENDREDI 3/10/2014, prorogé au VENDREDI10/102014.

DISCUSSION

1-Les sociétés BETCLIC EVEREST GROUP (BEG) du groupe Betclic et SAS SPS du groupe Unibet n’ayant pas participé à la conception du jeu « Twister » concurrent d’Expresso, n’exerçant pas d’activité de jeux en ligne en France et n’étant pas agréées pour ce faire par l’ARJEL (Autorité des Jeux En Ligne) , et n’ayant ainsi pas de liens de droit pour la présente affaire avec le demandeur WINAMAX, seront mises hors de cause. WINAMAX sera condamné à payer à SAS SPS et à Betclic Everest Group 1500€ chacune au titre de l’article 700 du CPC pour les avoir indument attraits à la présente instance, déboutant pour le surplus de leur demande.

2-La société Playtech a soulevé in limine litis et avant toute défense au fond les exceptions d’incompétence territoriale, de nullité et d’irrecevabilité, nous les dirons recevables.
Sur l’Incompétence : Playtech dont le siège est sur l’ile de Man et qui est le concepteur du jeu Twister conteste être à l’origine du dommage subi par WINAMAX en France puisqu’il ne l’y exploite pas. Nous retiendrons cependant que s’il y a parasitisme, c’est d’abord du fait du copieur éventuel du jeu Expresso que serait Playtech et qu’il est incontestable dans cette hypothèse que l’action de Playtech aurait participé au dommage subi en France par WINAMAX, lui même concepteur et exploitant du jeu concurrent Expresso. Nous retiendrons en conséquence que les dispositions de l’article 46.2 du CPC sont bien applicables en l’espèce, débouterons Playtech de son exception et nous déclarerons compétent.

Sur la nullité : Nous retiendrons que WINAMAX est l’éditeur et exploitant du jeu Expresso et que ce fait résulte des pièces produites tant par WINAMAX que par les autres parties à la présente procédure, lesquelles ne mettent d’ailleurs nullement en cause la qualité de propriétaire de WINAMAX. Nous retiendrons également que WINAMAX ne fonde pas son action sur la propriété intellectuelle du jeu mais sur la concurrence déloyale, moyen de droit tiré de l’application de l’art. 1382 du code civil. L’action de WINAMAX étant ainsi accompagnée de l’exposé des moyens de fait et de droit requis, nous rejetterons l’exception de nullité.
Sur l’irrecevabilité : Nous reprendrons ce qui précède à savoir qu’il est incontestable que WINAMAX est le concepteur et l’exploitant du jeu Expresso, et nous ajouterons que pour démontrer son droit à agir il lui est loisible de choisir ses moyens de droit et qu’il n’est pas nécessaire à ce stade qu’il démontre le bien-fondé de son action. Nous rejetterons en conséquence l’exception d’irrecevabilité de Playtech.

Sur les demandes : WINAMAX, leader des jeux français en ligne, a développé en juillet 2013 une nouvelle formule de poker appelée « expresso » qui combine 7 caractéristiques de jeux en ligne dont l’organisation, selon WINAMAX, est nouvelle et originale et a nécessité d’importants investissements de conception et de communication. Or la société Playtech a mis au point une formule de jeu similaire qui a été exploitée depuis juin 2014 par Betclic, Everest gamlng, ltechsoft et Unibet sous la dénomination de « twister » avec les mêmes 7 éléments du jeu « expresso » WINAMAX, après avoir dans un premier temps envisagé de se placer sous l’angle de la contrefaçon, a finalement décidé d’introduire son action sous celui de la responsabilité édictée par l’article 1382 du Code Civil et développée par la jurisprudence en matière de concurrence déloyale. Pour WINAMAX ses concurrents se sont livrés en lançant et en exploitant le jeu « twister » dans le sillage d’ « expresso » à des actes de concurrence déloyale aboutissant à profiter de ses efforts d’innovation sans avoir à en supporter les frais. Ces agissements, manifestement illicites et susceptibles de causer à WINAMAX un dommage imminent au sens des articles 872 et 873.1 du CPC, doivent cesser au besoin sous la contrainte, et ce de façon urgente, la clientèle allant sur « twister » risquant d’y être captive en raison de la complexité des inscriptions sur les sites de jeu qui, selon WINAMAX, dissuade les joueurs d’aller sur d’autres site que ceux où ils utilisent déjà un produit.

Les sociétés Betclic, Everest gaming, ltechsofl, Unibet et Playtech qui ont édité et exploitent le jeu « twister » font valoir au contraire que tous les 7 caractères du jeu « expresso » se retrouvent dans tous les jeux de poker en ligne, et que la combinaison retenue par WINAMAX n’est pas inédite et a déjà été utilisée par ailleurs. Pour elles, WINAMAX ne démontre pas qu’il ait fourni un effort de conception original et innovant ayant généré des investissements conséquents, mais met en avant des dépenses publicitaires qui sont en fait destinées principalement à promouvoir la marque WINAMAX et l’ensemble de ses produits, la promotion d’ « expresso » étant accessoire voire pour certaines publicités, marginale. Enfin les défendeurs font valoir qu’ils n’entretiennent pas et qu’il n’existe pas de confusion entre les produits « expresso » et « twister ». Les défendeurs contestent donc l’existence d’agissements manifestement illicites au sens de la concurrence déloyale, de même que celle d’un dommage imminent qui n’est pas établi, pas plus que ne l’est l’urgence compte tenu de l’habitude qu’ont les joueurs en très grande majorité de naviguer sur tous les sites de jeu à la fois, contrairement à ce que soutient WINAMAX.

Nous rappellerons que constitue un acte de concurrence déloyale fautif la copie servile d’un produit commercial concurrent dans le but de profiter des investissements d’autrui et en entretenant délibérément la confusion entre le produit copié et l’original. Or nous observerons que les 7 caractères du jeu « expresso » ne sont pas en eux-mêmes inédits et figurent individuellement ou ensemble dans de nombreuses autres formules de jeu, ce que ne conteste pas WINAMAX, et que seule la combinaison particulière d’ « expresso » est inédite même si on retrouve des formules voisines dans d’autres jeux préexistants. Nous observerons ensuite qu’il n’y a pas confusion entre les marques « expresse » et « twister », les noms, logos, couleurs et textes étant entièrement différents sur tous les supports. Enfin si WINAMAX justifie de dépenses de publicité, elles apparaissent au vu des documents produits autant destinées à promouvoir la marque Winamax » que le jeu « expresso » et WINAMAX n’apporte pas la preuve à la lecture des pièces produites d’avoir réalisé des investissements autres et suffisamment conséquents pour la conception du jeu dont les sociétés défenderesses profiteraient indument.

En conséquence nous dirons qu’au stade actuel de la procédure de référé et au vu des écritures et des pièces produites et il n’est pas manifeste que le trouble illicite dont fait état WINAMAX soit constitué, ni que WINAMAX justifie pour l’heure d’aucun dommage imminent.
Nous dirons au surplus et en tant que de besoin que l’urgence à agir dont WINAMAX se prévaut n’est pas caractérisée car il est avéré, contrairement à ce qu’il soutient, que les joueurs de poker en ligne sont inscrits sur plusieurs sites et naviguent de l’un à l’autre en permanence, et que le risque de voir la clientèle allant sur « twister » y rester captive est des plus aléatoire.
Pour tous ces motifs nous dirons qu’il n’y a lieu à référé et débouterons WINAMAX de toutes ses demandes.

WINAMAX succombant sera condamné à payer à PLAYTECH, BETCLIC ENTERPRISES L TD, EVEREST GAMING L TD, ITECHSOFT GAME, BETTING France LTD (UNIBET) la somme de 3000€ chacun au titre de l’article 700 du CPC, et supportera les dépens de la présente instance.

DECISION

Statuant par ORDONNANCE CONTRADICTOIRE EN PREMIER RESSORT.
Vu les dispositions des articles 872 et 873 CPC.
Nous déclarons compétent territorialement.
Rejetons les exceptions de nullité et d’irrecevabilité.
Prononçons la mise hors de cause des sociétés BETCLIC EVEREST GROUP (BEG) du groupe Betclic et SAS SPS du groupe Unibet.
Disons qu’il n’y a lieu à référé et déboutons la société WINAMAX de toutes ses demandes.
Condamnons la société WINAMAX à payer aux sociétés PLAYTECH, BETCLIC ENTERPRISES LTD, EVEREST GAMING LTD, ITECHSOFT GAME, BETTING France LTD (UNIBET) la somme de 3.000 € chacune, déboutons pour le surplus.
Condamnons la société WINAMAX à payer aux sociétés SAS SPS et Betclic Everest Group 1.500 € chacune au titre de l’article 700 du CPC, déboutons pour le surplus.
Condamnons la société WINAMAX aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 167,62 € TTC dont 27,72 € de TVA.
Disons que la présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 489 CPC.

La Cour : M. François Des Georges (président) et Mme Béatrice Delaplace (greffier)



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Matthieu Escande
Avocat
Docteur en Droit
MC AVOCATS
Expert en droit des jeux d'argent et de hasard