Droit des Jeux d'argent et de hasard: En droit des jeux, nul n'est censé ignorer la loi (ni les taxes !) Cour de cassation - chambre criminelle - 3 décembre 2014

10.12.14

En droit des jeux, nul n'est censé ignorer la loi (ni les taxes !) Cour de cassation - chambre criminelle - 3 décembre 2014

avocat escande

L'élément intentionnel s'entend, non pas de la connaissance des règles applicables, mais de la conscience d'exercer une activité dans le domaine des jeux. Les prévenus avaient conscience d'organiser des jeux donnant le droit à des lots excédant le seuil légal et en tout cas dans un but lucratif, étranger au but social, culturel, scientifique, éducatif, sportif ou d'animation sociale.



Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 3 décembre 2014
N° de pourvoi: 13-81393
Non publié au bulletin
Cassation partielle

M. Guérin (président), président
Me Foussard, SCP Spinosi et Sureau, avocat(s)


REPUBLIQUE FRANCAISE 
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant : 

Statuant sur les pourvois formés par :

- Mme Danielle X..., épouse Y..., - M. Jacky Y..., 
- L'association Enfance et avenir, 
- L'administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante,


contre l'arrêt de la cour d'appel d'ORLÉANS, chambre correctionnelle, en date du 5 février 2013, qui, pour infractions à la législation sur les contributions indirectes, a déclaré les trois premiers coupables d'une partie des faits reprochés, a sursis à statuer sur les sanctions et a débouté l'administration des douanes d'une partie de ses demandes ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 22 octobre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Soulard, conseiller rapporteur, Mme Nocquet, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller SOULARD, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général BOCCON-GIBOD ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu que M. et Mme Y... et l'association Enfance et avenir sont poursuivis pour avoir commis différentes infractions à la législation sur les contributions indirectes à l'occasion de l'organisation de lotos ; que l'arrêt attaqué les a déclarés coupables des faits postérieurs au 4 mars 2007, date à laquelle M. et Mme Y... ont été entendus par les services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et les a relaxés, faute d'élément intentionnel, pour les faits commis antérieurement ;

En cet état :

Sur le moyen unique de cassation proposé pour M. et Mme Y... et l'association Enfance et avenir, pris de la violation des articles L. 322-1, L. 322-2, L. 322-4 et L. 324-6 du code de la sécurité intérieure, 1565, 124 A, 152, 1791, 1799 du code général des impôts, 1 et 6 de la loi du 21 mai 1836, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que la cour d'appel a infirmé le jugement et déclaré les prévenus coupables de vingt-quatre infractions de défaut de déclaration d'une maison de jeu de hasard, vingt-quatre infractions de défaut de tenue d'une comptabilité générale et annexe, treize infractions de défaut de déclaration mensuelle de recettes, treize infractions de défaut de paiement de l'impôt sur les spectacles de quatrième catégorie ;

" aux motifs que sur l'élément matériel, par principe, les loteries sont prohibées à moins d'être qualifiées de lotos traditionnels et de rentrer dans le cadre dérogatoire de l'article 6 de la loi du 21 mai 1836, devenu l'article L. 322-4 du code de la sécurité intérieure, qui :

- dans sa rédaction applicable du 6 janvier 1998 au 10 mars 2004, énonçait : « les dispositions des articles 1er et 2 ci-dessus ne sont pas non plus applicables aux lotos traditionnels, également appelés " poules au gibier ", " rifles " ou " quines ", lorsqu'ils sont organisés dans un cercle restreint dans un but social, culturel, scientifique, éducatif sportif ou d'animation locale et se caractérisent par des mises et des lots de faible valeur ; que la valeur de chacun des lots ne peut dépasser un montant fixé par arrêté conjoint du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'intérieur ; que ces lots ne peuvent, en aucun cas, consister en sommes d'argent ni être remboursés ;

 - dans sa rédaction applicable du 11 mars 2004 et jusqu'au 30 avril 2012, énonçait : « les dispositions des articles 1er et 2 de la présente loi ne sont pas non plus applicables aux lotos traditionnels, également appelés " poules au gibier ", " rifles " ou " quines ", lorsqu'ils sont organisés dans un cercle restreint et uniquement dans un but social, culturel, scientifique, éducatif sportif ou d'animation sociale et se caractérisent par des mises de faible valeur, inférieures à 20 euros ; que ces lots ne peuvent, en aucun cas, consister en sommes d'argent ni être remboursés. Ils peuvent néanmoins consister dans la remise de bons d'achat non remboursables > > ; qu'il ressort des procès-verbaux établis par la direction régionale des douanes et droits indirects du centre que l'activité exercée par l'association « Enfance et avenir » était une activité de loterie prohibée au sens de ce texte dès lors que les modalités d'organisation des lotos dépassaient le cadre autorisé ; que ces lotos relevaient en conséquence du champ d'application de l'impôt sur les spectacles de IVème catégorie ; que la notion de cercle restreint s'entend en effet d'une communauté ou groupe de personnes en lien avec l'organisateur du loto et en particulier, lorsque l'organisateur est une association, avec l'objet social de cette personne morale ; qu'en l'espèce, il a été constaté, suivant procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve contraire, que l'organisation de ces lotos donnait lieu à diffusion d'une publicité notamment par voie de presse, qu'à l'issue des soirées ainsi organisées les participants étaient informés des dates et lieux des prochaines manifestations, que ces lotos étaient ouverts à tous, que l'association « Enfance et avenir » ne comptait aucun adhérent autre que les membres de ses organes de direction et que seule une partie des recettes a été reversée à trois associations tierces ; qu'il est par ailleurs incontestable que les mises des joueurs constituaient des jeux d'argent au sens de l'article 126 de l'annexe IV du code général des impôts, les intéressés ayant l'espoir d'un gain par intervention du hasard ; que le nombre de six manifestations de bienfaisance ou de soutien organisées dans l'année, au-delà duquel les recettes ne sont pas exonérées de TVA, dont se prévalent les prévenus pour leur défense, ne concerne que les loteries traditionnelles non prohibées, lesquelles ne relèvent pas de l'impôt sur les spectacles ; que l'élément matériel est ainsi caractérisé ; que sur l'élément intentionnel en matière de contributions indirectes, la violation en connaissance, de cause des prescriptions légales et réglementaires implique, " de la part de son auteur, l'intention coupable exigée par l'article 121-3 du code pénal, en l'espèce, c'est son expérience de participante à des lotos organisés par l'association « Ecole et loisirs » qui a incité Mme Danielle X..., épouse Y..., à créer avec son mari une nouvelle association dont elle a été dès l'origine la secrétaire trésorière et dont M. Y... est devenu le président deux mois après sa création ; que postérieurement à la première intervention des services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ayant donné lieu à audition le 28 février 2007 des époux Y...-X... et à établissement le 28 juin 2007 d'un procès-verbal par les services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l'activité d'organisation de lotos n'a pas cessé (le nombre des lotos organisés en 2007, soit 23 en année pleine, a même été supérieur au nombre des lotos organisés en 2006, soit 17 en année pleine) ; que l'élément intentionnel est ainsi caractérisé, mais pour la seule période postérieure au 28 février 2007 ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré, de déclarer les époux Y...-X... coupables des infractions commises par eux à compter du 28 février 2007 et de les relaxer pour les faits antérieurs ;

" 1°) alors que la prohibition des loteries ne s'applique pas à celles qui sont organisées dans un cercle restreint, dans un but social, culturel, scientifique, éducatif, sportif ou d'animation locale ; qu'au sens de l'article 6 de la loi du 21 mai 1836, la notion de cercle restreint, qui suppose d'apprécier in concreto le nombre de participants, s'entend de la fréquentation des loteries par les adhérents de l'association organisatrice et ses sympathisants ; qu'en se bornant à relever que les loteries litigieuses étaient ouvertes à tous, sans relever le nombre de participants ni rechercher la proportion du nombre de sympathisants, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

" 2°) alors la loi du 21 mai 1836 n'interdit pas le recours à la publicité pour l'organisation des loteries traditionnelles, la réponse ministérielle n° 4368 précisant expressément qu'elle est autorisée ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 6 de la loi du 21 mai 1836, retenir que l'organisation de ces lotos donnait lieu à diffusion d'une publicité notamment par voie de presse pour considérer que les loteries organisées par les exposants étaient prohibées ; "

Attendu que, pour déclarer les demandeurs coupables d'infractions à la législation sur les contributions indirectes relative aux jeux et établissements de spectacles, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent que les prévenus exploitaient une activité commerciale de jeux de hasard n'entrant pas dans la classe des lotos traditionnels mentionnés à l'article 6 de la loi du 21 mai 1836, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le moyen unique de cassation proposé pour l'administration des douanes et droits indirects, pris de la violation des articles 124, 126, 146, 149 à 154 de l'annexe IV du code général des impôts, des articles 1559, 1560, 1565- octiès, 1699, 1791, 1797, 1800, 1804- B du code général des impôts, article 6 de la loi du 21 mai 1836, L. 238 du livre des procédures fiscales, 121-3 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs ;

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé les prévenus des fins de la procédure engagée par la direction générale des douanes et des droits indirects pour la période antérieure au 28 février 2007 pour ne retenir les faits dénoncés, à titre d'infraction à la législation des contributions indirectes, que pour la période du 4 mars 2007 au 6 avril 2008 ;

" aux motifs qu'en matière de contributions indirectes, la violation en connaissance de cause des prescriptions légales et réglementaires implique, de la part de son auteur, l'intention coupable exigée par l'article 121-3 du code pénal ; qu'en l'espèce, c'est son expérience de participante à des lotos organisés par l'association « Ecole et loisirs » qui a incité Mme Danielle X..., épouse Y..., à créer avec son mari une nouvelle association dont elle a été dès l'origine la secrétaire trésorière et dont M. Y... est devenu le président deux mois après sa création ; que postérieurement à la première intervention des services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ayant donné lieu à audition le 28 février 2007 des époux Y...-X... et à établissement le 28 juin 2007 d'un procès-verbal par les services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l'activité d'organisation de lotos n'a pas cessé (le nombre des lotos organisés en 2007, soit 23 en année pleine, a même été supérieur au nombre des lotos organisés en 2006, soit dix-sept en année pleine) ; que l'élément intentionnel est ainsi caractérisé, mais pour la seule période postérieure au 28 février 2007 ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré, de déclarer les époux Y...-X... coupables des infractions commises par eux à compter du 28 février 2007 et de les relaxer pour les faits antérieurs » ;

" 1°) alors qu'en matière de contributions indirectes, les procès-verbaux de l'administration font foi, sauf au prévenu à rapporter la preuve contraire ; que la règle concerne tant l'élément matériel que l'élément intentionnel ; qu'en entrant en voie de relaxe, sans constater que les prévenus avaient rapporté la preuve, contrairement aux énonciations du procès-verbal, que les faits avaient été commis sans élément intentionnel, les juges du fond ont violé les textes susvisés et notamment l'article 238 du livre des procédures fiscales ;

" 2°) alors que, en tout cas, les juges du fond ne s'expliquent en aucune façon, pour la période antérieure au 28 février 2007, sur le point de savoir si les prévenus avaient conscience d'organiser des jeux donnant le droit à des lots excédant le seuil légal et en tout cas dans un but lucratif, étranger au but social, culturel, scientifique, éducatif, sportif ou d'animation sociale tel que visé par l'article 6 du 21 mai 1836 ;

" 3°) alors que l'élément intentionnel s'entend, non pas de la connaissance des règles applicables, ce point ne pouvant être pris en compte que sur le terrain de l'erreur de droit, mais de la conscience d'exercer une activité dans le domaine des jeux, dans un but lucratif sans accomplissement d'aucune formalité à l'égard de l'administration ; que si l'arrêt devait être compris comme subordonnant l'élément intentionnel à la connaissance de la règle par le prévenu, connaissance établie par l'intervention des services de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, il devrait être regardé comme entaché d'une erreur de droit quant à la définition de l'élément intentionnel ; que de ce point de vue également, il doit être censuré pour la violation des textes susvisés ; "

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour écarter la culpabilité des époux Y... et de l'association Enfance et avenir pour les faits antérieurs au 4 mars 2007, après avoir constaté que l'élément matériel des infractions était caractérisé, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations sur la violation de la législation sur les contributions indirectes par les prévenus, qui ne sauraient se voir reconnaître une exonération de responsabilité au seul motif qu'ils auraient pu ignorer des incriminations fiscales, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 5 février 2013, mais en ses seules dispositions relaxant les prévenus pour les faits commis avant le 4 mars 2007, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; 

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, 

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois décembre deux mille quatorze ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Matthieu Escande
Matthieu ESCANDE

Avocat à la Cour - Attorney at Law
Docteur en Droit - Ph.D in Law