Droit des Jeux d'argent et de hasard: R. c. Pamajewon, 1996 CanLII 161 (C.S.C.)

22.8.96

R. c. Pamajewon, 1996 CanLII 161 (C.S.C.)

R. c. Pamajewon, 1996 CanLII 161 (C.S.C.)


Droit constitutionnel ‑‑ Droits ancestraux ‑‑ Autonomie gouvernementale et jeux de hasard à gros enjeux ‑‑ Prise par les premières nations d’un règlement administratif sur les loteries ‑‑ Règlement administratif non pris conformément à l'art. 81 de la Loi sur les Indiens ‑‑ Dépôt d’accusations criminelles reprochant des contraventions à des dispositions concernant les jeux de hasard ‑‑ Existe‑t‑il un droit ancestral de s'adonner à des jeux de hasard? ‑‑ Existe‑t‑il un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale qui inclut le droit de réglementer les activités de jeux de hasard? ‑‑ Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1) ‑‑ Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 201(1), 206(1)d), 207 ‑‑ Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 81.


R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821

Howard Pamajewon et Roger Jones Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Arnold Gardner, Jack Pitchenese et Allan Gardner Appelants

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

et

Le procureur général du Canada,
le procureur général du Québec,
le procureur général du Manitoba,
le procureur général de la Colombie‑Britannique,
le procureur général de la Saskatchewan,
le procureur général de l’Alberta,
l’Assembly of Manitoba Chiefs,
la Federation of Saskatchewan Indian Nations et
les premières nations de White Bear,
et Delgamuukw et autres Intervenants

Répertorié: R. c. Pamajewon

No du greffe: 24596.

Audition et jugement: 26 février 1996.

Motifs déposés: 22 août 1996.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

Droit constitutionnel ‑‑ Droits ancestraux ‑‑ Autonomie gouvernementale et jeux de hasard à gros enjeux ‑‑ Prise par les premières nations d’un règlement administratif sur les loteries ‑‑ Règlement administratif non pris conformément à l'art. 81 de la Loi sur les Indiens ‑‑ Dépôt d’accusations criminelles reprochant des contraventions à des dispositions concernant les jeux de hasard ‑‑ Existe‑t‑il un droit ancestral de s'adonner à des jeux de hasard? ‑‑ Existe‑t‑il un droit ancestral à l’autonomie gouvernementale qui inclut le droit de réglementer les activités de jeux de hasard? ‑‑ Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1) ‑‑ Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 201(1), 206(1)d), 207 ‑‑ Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 81.

Les premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake ont toutes deux pris des règlements administratifs sur les loteries. Ni l’un ni l’autre des règlements administratifs n’ont été pris conformément à l’art. 81 de la Loi sur les Indiens, et ni l’une ni l’autre de ces premières nations ne détenaient de permis provincial autorisant les activités de jeu. La première nation Shawanaga a invoqué un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et la première nation de Eagle Lake a invoqué son droit d’autoréglementer ses activités économiques.


Les appelants Howard Pamajewon et Roger Jones, membres de la première nation de Shawanaga, ont été accusés d'avoir tenu une maison de jeu, contrairement au par. 201(1) du Code criminel. Les accusations ont été portées à la suite d'un bingo à gros enjeux et d'autres activités de jeux de hasard qui se sont déroulés dans la réserve. Les appelants Arnold Gardner, Jack Pitchenese et Allan Gardner, membres de la première nation de Eagle Lake, ont été accusés d'avoir conduit un plan pour déterminer les gagnants d'un bien, contrairement à l'al. 206(1)d) du Code. Les accusations se rapportaient aux activités de bingo de la bande dans la réserve. Tous les appelants ont été déclarés coupables et les déclarations de culpabilité ont été confirmées en appel. Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la réglementation des jeux de hasard à gros enjeux par les premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake est visée par les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La question constitutionnelle examinée par la Cour est de savoir si les articles 201, 206 ou 207 du Code criminel, pris isolément ou ensemble, sont inopérants à l'égard des appelants, en application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, en raison des droits ancestraux ou issus de traités au sens de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major: À supposer, sans toutefois en décider, que le par. 35(1) vise les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale, la norme juridique pertinente n’en demeure pas moins celle établie dans R. c. Van der Peet. Les revendications d'autonomie gouvernementale présentées en vertu du par. 35(1) ne diffèrent pas des autres prétentions à la jouissance de droits ancestraux, et elles doivent être appréciées au regard de la même norme.

Pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question. La Cour doit d'abord déterminer la nature exacte de l'activité qui, prétend‑on, serait un droit, et ensuite se demander s’il est possible d'affirmer que cette activité était «une caractéristique déterminante de la culture en cause» avant le contact avec les Européens.

La façon la plus précise de caractériser la revendication des appelants est de dire qu'ils prétendent que le par. 35(1) reconnaît et confirme le droit des premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake de participer à des activités de jeux de hasard dans leur réserve respective et de réglementer ces activités. Caractériser la revendication des appelants de «droit général de gérer l'utilisation des terres de leurs réserves» aurait pour effet d'assujettir l'examen de la Cour à un degré excessif de généralité. Les droits ancestraux, y compris toute revendication du droit à l'autonomie gouvernementale, doivent être examinés à la lumière des circonstances propres à chaque affaire et, plus particulièrement, à la lumière de l'histoire et de la culture particulières du groupe autochtone qui revendique le droit.

La preuve présentée aux procès n'établit pas que les jeux de hasard ou la réglementation de telles activités faisaient partie intégrante de la culture distinctive de la première nation de Shawanaga ou de celle de la première nation de Eagle Lake au moment du contact avec les Européens. L’activité n’est donc pas protégée par le par. 35(1).


Le juge L’Heureux‑Dubé: Décrire la revendication des appelants comme étant l’existence pour leurs bandes d’un large pouvoir, protégé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, de prendre des décisions concernant le bien‑être social, économique et culturel des autochtones (y compris le pouvoir de réglementer les activités de jeux de hasard) est une caractérisation trop générale. Néanmoins, la revendication ne devrait pas être caractérisée comme étant le «droit des premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake de participer à des activités de jeux de hasard dans leur réserve respective et de réglementer ces activités». L’analyse doit porter sur l'activité elle‑même et non sur la façon particulière dont elle a été exercée. Il faut caractériser la revendication de façon générale: les appelants possèdent‑ils un droit ancestral existant de s'adonner aux jeux de hasard. Si l’existence d'un tel droit peut être établie, le gouvernement est alors tenu de justifier l'atteinte portée à ce droit par le Code criminel, qui interdit essentiellement les jeux de hasard.

La définition des droits ancestraux doit tenir compte de la notion de «partie intégrante d'une culture autochtone distinctive», et pour être reconnus en vertu du par. 35(1), ces droits doivent être suffisamment importants et fondamentaux pour l'organisation sociale et la culture d'un groupe particulier d'autochtones. La preuve présentée n'a pas établi que les jeux de hasard aient jamais joué un rôle important dans la culture de la première nation de Shawanaga et celle de la première nation de Eagle Lake. Les jeux de hasard, en tant que pratique, n’ont pas un lien suffisant avec le sentiment d’identité et le désir de préservation des sociétés autochtones auxquelles les appelants appartiennent pour justifier de reconnaître à ces activités la protection du par. 35(1). Il n’est donc pas nécessaire de se demander si le par. 35(1) confère un droit général à l’autonomie gouvernementale incluant celui de réglementer les activités de jeux de hasard dans la réserve. Même si certains droits à l’autonomie gouvernementale existaient avant 1982, il n'y a aucune preuve que les jeux de hasard sur les terres des réserves en général aient jamais été l'objet d'une réglementation autochtone.


Jurisprudence

Citée par le juge en chef Lamer

Arrêt appliqué: R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 507; arrêts mentionnés: Delgamuukw c. British Columbia, 1993 CanLII 4516 (BC C.A.), [1993] 5 W.W.R. 97; R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 1075.

Citée par le juge L’Heureux‑Dubé

Arrêt appliqué: R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 507; arrêts mentionnés: R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., 1996 CanLII 159 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 672; R. c. Gladstone, 1996 CanLII 160 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 723.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 15, 201(1), 206(1)d), 207 [abr. & rempl. ch. 52 (1er suppl.), art. 3].

Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(24).

Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 81 [mod. ch. 32 (1er suppl.), art.15].

Proclamation royale de 1763, L.R.C. (1985), ann. II, no 1.

Traité Robinson conclu en l’année 1850 avec les Ojibeways du Lac Huron. Réimpression de l’édition de 1939. Ottawa: Imprimeur de la Reine, 1964.



POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario 1994 CanLII 2716 (ON C.A.), (1994), 21 O.R. (3d) 385, 120 D.L.R. (4th) 475, 95 C.C.C. (3d) 97, 36 C.R. (4th) 388, 77 O.A.C. 161, 25 C.R.R. (2d) 207, [1995] 2 C.N.L.R. 188, qui a rejeté les appels interjetés par Howard Pamajewon et Roger Jones contre les déclarations de culpabilité prononcées contre eux par le juge Carr de la Cour provinciale, ainsi que les appels interjetés par Arnold Gardner, Jack Pitchenese et Allan Gardner contre les déclarations de culpabilité prononcées contre eux par le juge Flaherty de la Cour provinciale. Pourvoi rejeté.

Arthur C. Pape, Clayton C. Ruby et Jean Teillet, pour les appelants.

Scott C. Hutchison, pour l’intimée.

Ivan G. Whitehall, c.r., et Kimberley Prost, pour l’intervenant le procureur général du Canada.

Pierre Lachance, pour l’intervenant le procureur général du Québec.

Kenneth J. Tyler et Richard A. Saull, pour l’intervenant le procureur général du Manitoba.

Paul J. Pearlman, pour l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

P. Mitch McAdam, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.

Margaret Unsworth, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.


Jack R. London, c.r., et Martin S. Minuk, pour l’intervenante l’Assembly of Manitoba Chiefs.

Mary Ellen Turpel‑Lafond et Lesia Ostertag, pour les intervenantes la Federation of Saskatchewan Indian Nations et les premières nations de White Bear.

Louise Mandell et Peter W. Hutchins, pour les intervenants Delgamuukw et autres.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major rendu par

LE JUGE EN CHEF ‑‑

I. Introduction

1 Le présent pourvoi soulève la question de savoir si la conduite de jeux de hasard à gros enjeux par les premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake est visée par les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

2 Le pourvoi a été entendu le 26 février 1996 et jugement a été rendu rejetant le pourvoi. Les brefs motifs qui suivent expliquent le fondement de cette décision.


II. Exposé des faits

Pamajewon et Jones

3 Les appelants Pamajewon et Jones sont membres de la première nation de Shawanaga. Le 29 mars 1993, ils ont tous deux été déclarés coupables d'avoir tenu une maison de jeu, contrairement au par. 201(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Cette disposition est ainsi rédigée:

201. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans quiconque tient une maison de jeu ou une maison de pari.

4 Les accusations ont été portées à la suite d'un bingo à gros enjeux et d'autres activités de jeux de hasard qui se sont déroulés dans la réserve de la première nation de Shawanaga entre le 11 septembre 1987 et le 6 octobre 1990. Pendant toute cette période, Jones était chef de la première nation de Shawanaga et Pamajewon était membre du conseil de bande de Shawanaga.

5 Les jeux de hasard organisés dans la réserve se sont déroulés en vertu de la loi sur les loteries de la première nation de Shawanaga. Cette loi, édictée par le conseil de bande en août 1987, n'était pas un règlement administratif pris conformément à l'art. 81 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5.


6 La première nation de Shawanaga ne détenait pas de permis provincial autorisant ses activités de jeu. La bande avait rencontré la Société des loteries de l'Ontario, mais avait refusé la licence que celle‑ci lui offrait pour le motif qu'elle n'en avait pas besoin, étant donné qu'elle possédait le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

7 À leur procès, les appelants Pamajewon et Jones ont été déclarés coupables. La Cour d'appel de l'Ontario a confirmé ces déclarations de culpabilité.

Gardner, Pitchenese et Gardner

8 Les appelants Arnold Gardner, Jack Pitchenese et Allan Gardner sont tous membres de la première nation de Eagle Lake. Le 19 novembre 1993, ils ont été déclarés coupables d'avoir conduit un plan pour déterminer les gagnants d'un bien, contrairement à l'al. 206(1)d) du Code, qui est ainsi rédigé:

206. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans quiconque, selon le cas:

. . .

d) conduit ou administre un plan, un arrangement ou une opération de quelque genre que ce soit pour déterminer quels individus ou les porteurs de quels lots, billets, numéros ou chances sont les gagnants d'un bien qu'il est ainsi proposé de céder par avance, prêter, donner, vendre ou aliéner . . .

9 Au moment où les accusations ont été portées, Arnold Gardner était chef de la bande de Eagle Lake et président du comité du bingo, Jack Pitchenese administrait les activités du bingo et Allan Gardner était le meneur de jeu en chef du bingo.


10 Les activités de jeu conduites dans la réserve de Eagle Lake l'ont été en vertu de la loi sur les loteries du conseil de bande de la première nation de Eagle Lake, édictée en mars 1985. Cette loi sur les loteries n'était pas un règlement administratif pris conformément à l'art. 81 de la Loi sur les Indiens.

11 La première nation de Eagle Lake ne détenait pas de permis provincial autorisant ses activités de jeu. La bande avait refusé de négocier avec la Société des loteries de l'Ontario, même si le ministère de la Consommation et du Commerce avait fait des démarches auprès d'elle à cette fin. La bande refusait de négocier, invoquant son droit d'autoréglementer ses activités économiques.

12 Les appelants Gardner, Pitchenese et Gardner ont été déclarés coupables au terme du procès. La Cour d'appel de l'Ontario a confirmé les déclarations de culpabilité.

III. Juridictions inférieures

La Cour provinciale

Pamajewon et Jones


13 Au procès, les appelants Pamajewon et Jones ont plaidé que le ministère public n'avait pas réussi à prouver les éléments essentiels de l'infraction. Le juge Carr de la Cour provinciale a rejeté cet argument, qui n'a pas été repris en appel. Les appelants ont aussi avancé qu'ils ne devaient pas être déclarés coupables, parce qu'ils avaient accompli les actes reprochés conformément à des lois édictées par des personnes possédant de facto un pouvoir souverain au sens de l'art. 15 du Code. Le juge Carr a également rejeté cet argument, statuant que les appelants n'avaient fait la preuve ni qu'ils avaient agi [TRADUCTION] «en exécution» de la loi sur les loteries de la première nation de Shawanaga (qui n'exigeait pas d'eux qu'ils agissent comme ils l'ont fait), ni que le conseil de bande possédait de facto un pouvoir souverain. Cet argument n'a pas été repris en appel.

14 Selon le dernier argument des appelants, l'application du par. 201(1) du Code est une violation inconstitutionnelle du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale de la première nation de Shawanaga. Le juge Carr a rejeté cet argument. S'appuyant sur le libellé de la Proclamation royale de 1763 et du Traité Robinson du lac Huron de 1850, ainsi que sur le fait que le gouvernement fédéral a compétence exclusive sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens» en vertu du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, il a statué que tout droit à l'autonomie gouvernementale que détenait autrefois la première nation de Shawanaga avait été éteint par suite de la manifestation d'une intention claire et expresse en ce sens par l'État, et qu'en conséquence les appelants ne pouvaient invoquer ce droit comme moyen de défense à l'égard des accusations portées contre eux.

15 Finalement, le juge Carr a déclaré les appelants coupables et les a condamnés chacun à une amende de 1 500 $.

Gardner, Pitchenese et Gardner


16 Les appelants Gardner, Pitchenese et Gardner ont prétendu qu'ils ne devraient pas être déclarés coupables parce que l'art. 206 du Code porte atteinte de façon injustifiée au droit à l'autonomie gouvernementale reconnu à la première nation de Eagle Lake par le par. 35(1). Le juge Flaherty de la Cour provinciale a rejeté cet argument. Il a statué que l'argument des appelants revenait essentiellement à tenter de fonder le droit à l'autonomie gouvernementale sur la situation économique défavorable de la première nation de Eagle Lake. Le juge Flaherty a conclu qu'une telle prétention ne pouvait pas être retenue:

[TRADUCTION] Si nécessaire qu'il puisse paraître à quelqu'un de se plaindre de sa situation économique défavorable et si criante que puisse être cette situation, il faut chercher d'autres moyens d'y remédier. Il faut trouver des façons de créer de la richesse et de tirer un revenu qui ne sont pas contraires au droit criminel. [. . .] [J]e ne suis pas convaincu que la situation économique défavorable de la première nation de Eagle Lake, aussi évidente qu'elle soit à la lumière de la preuve déposée en l'espèce, et que la situation économique défavorable des premières nations en général peuvent être redressées par une activité qui contrevient au droit criminel, et je ne peux pas non plus annuler un article du Code criminel, par ailleurs valide sur le plan constitutionnel, pour les motifs soigneusement et habilement exposés en l'espèce.

17 Le juge Flaherty a déclaré les appelants Gardner, Pitchenese et Gardner coupables et les a condamnés chacun à une amende de 1 500 $.

La Cour d'appel de l'Ontario 1994 CanLII 2716 (ON C.A.), (1994), 21 O.R. (3d) 385


18 Devant la Cour d'appel de l'Ontario, les appelants ont affirmé que leurs déclarations de culpabilité violaient le droit à l'autonomie gouvernementale de leur bande indienne respective. Ils ont avancé que le droit à l'autonomie gouvernementale existait soit en tant qu'accessoire du titre aborigène visant les terres de la réserve, soit en tant que droit ancestral inhérent. La Cour d'appel n'a pas retenu cet argument. Le juge Osborne a statué que le titre aborigène repose, comme a conclu le juge Macfarlane de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'arrêt Delgamuukw c. British Columbia, 1993 CanLII 4516 (BC C.A.), [1993] 5 W.W.R. 97, sur l'occupation et l'utilisation du territoire par les autochtones, et que le contenu de ce titre est déterminé par la nature du droit de jouissance dont les autochtones ont traditionnellement profité à l'égard de ce territoire. Le juge Osborne a conclu que, à la lumière du fondement et de la teneur du titre aborigène, il est impossible d'affirmer que celui‑ci a donné naissance à un droit général à l'autonomie gouvernementale. Au contraire, c'est le droit particulier à l'autonomie gouvernementale revendiqué qui doit être examiné afin de déterminer si ce droit découle de la culture autochtone traditionnelle des intéressés et de leur utilisation traditionnelle du territoire. En l'espèce, le droit particulier à l'autonomie gouvernementale revendiqué est celui de réglementer les jeux de hasard à gros enjeux. Le juge Osborne a statué, à la p. 400, qu' [TRADUCTION] «aucun élément de preuve ne permet de conclure que les jeux de hasard en général et les jeux de hasard à gros enjeux comme ceux en cause ici faisaient partie de la culture et des traditions historiques des premières nations, ou qu'ils constituaient un aspect de l'utilisation qu'elles faisaient de leur territoire».

19 Le juge Osborne a aussi conclu que l'arrêt R. c. Sparrow, 1990 CanLII 104 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 1075, permet d'affirmer que tout droit général et inhérent à l'autonomie gouvernementale que détenaient les appelants a été éteint par l'affirmation de souveraineté des Britanniques. Le succès d'une revendication d'un droit plus particulier à l'autonomie gouvernementale dépend de la preuve historique se rapportant à la collectivité autochtone de l'intéressé. Le juge Osborne a statué, à la p. 400, que la prétention des appelants à l'autonomie gouvernementale ne s'appuyait sur aucun élément de preuve: [TRADUCTION] «il n'y a aucune preuve que les jeux de hasard sur les terres des réserves en général aient jamais été l'objet d'une réglementation autochtone. Qui plus est, il n'y a aucune preuve d'une quelconque participation historique à quoi que ce soit d'analogue aux jeux de hasard à gros enjeux en cause dans les présents cas». Le juge Osborne a poursuivi en concluant que, de toute manière, tout droit de réglementer les jeux de hasard que détenaient les appelants en l'espèce avait été éteint par les interdictions visant les jeux de hasard édictées par le législateur fédéral dans le Code.


IV. Moyens d'appel

20 L'autorisation de se pourvoir devant notre Cour a été accordée le 1er juin 1995: [1995] 2 R.C.S. viii. Le 6 juillet 1995, la question constitutionnelle suivante a été formulée:

Dans les circonstances du présent pourvoi, les articles 201, 206 ou 207 du Code criminel, pris isolément ou ensemble, sont-ils inopérants à l'égard des appelants, en application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, en raison des droits ancestraux ou issus de traités au sens de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 invoqués par les appelants?

21 Dans leur pourvoi, les appelants affirment que la Cour d'appel a commis une erreur en limitant le titre aborigène aux droits touchant une activité et un site spécifiques, et en concluant que l'autonomie gouvernementale ne s'étend qu'aux questions qui étaient régies par d'anciennes lois ou coutumes. Les appelants ont aussi prétendu que la Cour d'appel avait fait erreur en statuant que le Code avait éteint le droit à l'autonomie gouvernementale en matière de jeux de hasard, et en ne se demandant pas si ces dispositions du Code sur les jeux de hasard portaient atteinte de façon injustifiée aux droits reconnus et confirmés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

22 La Federation of Saskatchewan Indian Nations et les premières nations de White Bear sont intervenues en faveur des appelants. Les procureurs généraux du Canada, du Québec, du Manitoba, de la Colombie‑Britannique, de la Saskatchewan et de l'Alberta sont intervenus en faveur de l'intimée.


V. Analyse

23 La résolution de la revendication des appelants en l'espèce repose sur l'application du critère qu'a établi notre Cour dans R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 507, pour déterminer les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans le présent cas, les appelants affirment que les activités de jeux de hasard auxquelles ils ont pris part et la réglementation établie par leur bande indienne respective à l'égard de ces activités sont visées par les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1). L'arrêt Van der Peet, précité, énonce le critère permettant de déterminer les coutumes, pratiques et traditions visées par le par. 35(1) et, de ce fait, constitue la norme juridique au regard de laquelle la revendication des appelants doit être appréciée.

24 La revendication des appelants comporte l'affirmation que le par. 35(1) englobe le droit à l'autonomie gouvernementale, et que ce droit comprend le droit de réglementer les activités de jeux de hasard dans la réserve. À supposer, sans toutefois en décider, que le par. 35(1) vise les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale, la norme juridique pertinente n'en demeure pas moins celle établie dans Van der Peet, précité. À supposer que les revendications du droit à l'autonomie gouvernementale autochtone sont visées par le par. 35(1), ces revendications doivent être examinées à la lumière des objets sous‑jacents de cette disposition et, par conséquent, être appréciées au regard du critère tiré de l'analyse de ces objets. Il s'agit du critère établi dans Van der Peet, précité. Dans la mesure où elles peuvent être présentées en vertu du par. 35(1), les revendications d'autonomie gouvernementale ne diffèrent pas des autres prétentions à la jouissance de droits ancestraux, et elles doivent, de ce fait, être appréciées au regard de la même norme.


25 Dans Van der Peet, précité, le critère permettant de déterminer l'existence des droits ancestraux a été énoncé ainsi, au par. 46:

. . . pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d'une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question.

Dans l'application de ce critère, la Cour doit d'abord déterminer la nature exacte de l'activité qui, prétend‑on, serait un droit, et ensuite se demander si, compte tenu de la preuve présentée au juge du procès et des conclusions de fait du juge du procès, il est possible d'affirmer que cette activité était «une caractéristique déterminante de la culture en cause» (Van der Peet, par. 59), avant le contact avec les Européens.

26 Je vais maintenant examiner la première partie du critère établi dans Van der Peet, soit la caractérisation de la revendication des appelants. Dans Van der Peet, la Cour a statué, au par. 53, que:

Pour bien caractériser la revendication du demandeur, le tribunal doit tenir compte de facteurs tels que la nature de l'acte qui, d'affirmer le demandeur, a été accompli en vertu d'un droit ancestral, la nature du règlement, de la loi ou de l'autre mesure gouvernementale contestée, ainsi que la coutume, pratique ou tradition invoquée pour établir l'existence du droit.


La prise en considération de ces facteurs en l'espèce permet de constater que la bonne façon de caractériser la revendication des appelants est de dire qu'ils revendiquent le droit de participer à des activités de jeux de hasard à gros enjeux dans la réserve et de réglementer ces activités. Ce que les appelants ont organisé, et que leurs bandes indiennes ont réglementé, ce sont des jeux de hasard à gros enjeux. Le texte de loi qui, selon eux, viole ces droits interdit les jeux de hasard, sous réserve de quelques exceptions de portée limitée (énoncées à l'art. 207 du Code). Enfin, les appelants invoquent, au soutien de leur revendication, le fait que le [TRADUCTION] «peuple ojibway [. . .] a une longue tradition d'organisation de jeux et d'événements sportifs publics, qui remonte à l'époque antérieure à l'arrivée des Européens». Par conséquent, tant l'activité organisée par les appelants et réglementée par leur bande indienne respective, que le texte de loi qu'ils contestent et la preuve historique sur laquelle ils s'appuient se rapportent à la tenue et à la réglementation de jeux de hasard. En conséquence, la façon la plus précise de caractériser la revendication des appelants est de dire qu'ils prétendent que le par. 35(1) reconnaît et confirme le droit des premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake de participer à des activités de jeux de hasard dans leur réserve respective et de réglementer ces activités.

27 Les appelants eux‑mêmes demandent à notre Cour de caractériser leur revendication de [TRADUCTION] «droit général de gérer l'utilisation des terres de leurs réserves». Caractériser ainsi la revendication des appelants aurait pour effet d'assujettir l'examen de la Cour à un degré excessif de généralité. Les droits ancestraux, y compris toute revendication du droit à l'autonomie gouvernementale, doivent être examinés à la lumière des circonstances propres à chaque affaire et, plus particulièrement, à la lumière de l'histoire et de la culture particulières du groupe autochtone qui revendique le droit. Les facteurs énoncés dans Van der Peet, et appliqués plus tôt en l'espèce, permettent à la Cour d'examiner la revendication des appelants suivant le degré de spécificité approprié, ce que ne permettrait pas la caractérisation proposée par les appelants.


28 J'aborde maintenant le second volet du critère établi dans Van der Peet, soit l'examen visant à déterminer si la participation à des activités de jeux de hasard et la réglementation de telles activités sur les terres des réserves faisaient partie intégrante de la culture distinctive de la première nation de Shawanaga ou de celle de la première nation de Eagle Lake. La preuve présentée aux procès de Pamajewon et de Gardner n'établit pas que les jeux de hasard ou la réglementation de telles activités faisaient partie intégrante de la culture distinctive de la première nation de Shawanaga ou de celle de la première nation de Eagle Lake. De fait, le seul élément de preuve présenté à ces procès en ce qui concerne l'importance des jeux de hasard a été le témoignage de James Morrison, au procès de Pamajewon, relativement à l'importance et à la popularité du jeu dans la culture ojibway. Bien que le témoignage de M. Morrison démontre effectivement que les Ojibways s'adonnaient à des jeux de hasard, il n'établit pas que ces jeux avaient une importance fondamentale pour ce peuple. Qui plus est, il n'est aucunement question dans son témoignage de la mesure dans laquelle ces jeux de hasard étaient réglementés par la collectivité ojibway. Le témoin a fait état d'activités de jeux informelles sur une petite échelle. Il n'a pas décrit d'activités menées sur grande échelle, réglementées par la collectivité et du genre de celles en cause dans le présent pourvoi.

29 Je ferais remarquer que ni l'un ni l'autre des juges qui ont entendu les procès en l'espèce ne se sont appuyés sur des conclusions de fait concernant l'importance des jeux de hasard pour les Ojibways. Toutefois, après examen de la preuve, je souscris à la conclusion tirée par le juge Osborne lorsqu'il a déclaré, premièrement, à la p. 400, qu' «aucun élément de preuve ne permet de conclure que les jeux de hasard en général et les jeux de hasard à gros enjeux comme ceux en cause ici faisaient partie de la culture et des traditions historiques des premières nations, ou qu'ils constituaient un aspect de l'utilisation qu'elles faisaient de leur territoire» et, deuxièmement, à la p. 400, qu' «il n'y a aucune preuve que les jeux de hasard sur les terres des réserves en général aient jamais été l'objet d'une réglementation autochtone». Je suis également en accord avec l'observation suivante, faite par le juge Flaherty de la Cour provinciale, dans le cadre du procès Gardner:


[TRADUCTION] . . . les loteries commerciales telles que les bingos sont des phénomènes du XXe siècle, et rien de tel n'existait chez les peuples autochtones ni ne faisait partie des moyens traditionnels de socialisation et de subsistance de ces sociétés.

30 Compte tenu de la preuve au dossier, il est clair que les appelants n'ont pas réussi à démontrer que les activités de jeux de hasard auxquelles ils ont participé et la réglementation de ces activités par leur bande respective reposent sur un droit ancestral reconnu et confirmé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

VI. Conclusion

31 Voilà les motifs pour lesquels je rejette le pourvoi et confirme l'arrêt de la Cour d'appel maintenant les déclarations de culpabilité prononcées par les juges contre les divers appelants à leur procès pour violation des art. 201 et 206 du Code. Il n'y aura pas d'ordonnance concernant les dépens.

32 Pour les motifs qui précèdent, la question constitutionnelle doit recevoir la réponse suivante:

Question : Dans les circonstances du présent pourvoi, les articles 201, 206 ou 207 du Code criminel, pris isolément ou ensemble, sont-ils inopérants à l'égard des appelants, en application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, en raison des droits ancestraux ou issus de traités au sens de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 invoqués par les appelants?

Réponse : Non.

Les motifs suivants ont été rendus par


33 LE JUGE L'HEUREUX‑DUBÉ ‑‑ Le présent pourvoi, ainsi que les pourvois R. c. Van der Peet, 1996 CanLII 216 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 507, R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd., 1996 CanLII 159 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 672, et R. c. Gladstone, 1996 CanLII 160 (C.S.C.), [1996] 2 R.C.S. 723, entendus à la même époque, portent sur les droits ancestraux garantis par la Constitution au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

34 La question générale de la nature et de l'étendue des droits ancestraux garantis par la Constitution est analysée dans l'arrêt connexe R. c. Van der Peet, précité. En l'espèce, la question particulière qui se pose est de savoir si les premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake, dont les appelants sont membres, possèdent un droit ancestral existant de conduire et de réglementer des activités de jeux de hasard à gros enjeux dans leurs réserves.

35 Le Juge en chef a exposé les faits et les jugements, et il n'est pas nécessaire de les reprendre. Le 6 juillet 1995, il a formulé la question constitutionnelle suivante:

Dans les circonstances du présent pourvoi, les articles 201, 206 ou 207 du Code criminel, pris isolément ou ensemble, sont‑ils inopérants à l'égard des appelants, en application de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, en raison des droits ancestraux ou issus de traités au sens de l'art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 invoqués par les appelants?


36 La Cour est à l'unanimité d'avis qu'il faut répondre par la négative à cette question, et le pourvoi a été rejeté à l'audience. Le Juge en chef a appliqué le test qu'il a énoncé dans Van der Peet, précité, et il a conclu que les activités de jeux de hasard et la réglementation de telles activités par les bandes ne sont pas visées par les droits ancestraux garantis au par. 35(1). J'arrive à la même conclusion que le Juge en chef, mais par un cheminement différent.

37 Les appelants ont fait valoir que les bandes auxquelles ils appartiennent ont un large pouvoir de prendre des décisions concernant le bien‑être social, économique et culturel des autochtones, y compris le pouvoir de réglementer les activités de jeux de hasard. De l'avis des appelants, ce pouvoir est protégé par le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

38 Je suis d'accord avec le Juge en chef qu'une telle caractérisation de la revendication est trop générale. Cependant, je ne caractériserais pas, comme il l'a fait (au par. 26), le droit revendiqué comme étant le «droit des premières nations de Shawanaga et de Eagle Lake de participer à des activités de jeux de hasard dans leur réserve respective et de réglementer ces activités». Selon moi, l'analyse doit porter de façon générale sur l'activité elle‑même et non sur la façon particulière dont elle a été exercée. De même, la fin pour laquelle l'activité autochtone visée est exercée permet souvent de caractériser le droit revendiqué. En l'espèce, afin d'apprécier correctement la portée du droit, nous devons caractériser la revendication de façon générale, puis déterminer si, en l'occurrence, la première nation de Shawanaga, dont les appelants Jones et Pamajewon sont membres, et la première nation de Eagle Lake, dont les appelants Gardner, Pitchenese et Gardner sont membres, possèdent un droit ancestral existant de s'adonner aux jeux de hasard. Si l'existence d'un tel droit peut être établie, le gouvernement est alors tenu de justifier l'atteinte portée à ce droit par le Code criminel, qui interdit essentiellement les jeux de hasard.


39 Dans Van der Peet, précité, au par. 180, j'ai conclu que la définition des droits ancestraux doit tenir compte de la notion de «partie intégrante d'une culture autochtone distinctive», et j'ai énoncé les lignes directrices suivantes:

En définitive, les lignes directrices générales proposées pour l'interprétation de la nature et de l'étendue des droits protégés constitutionnellement par le par. 35(1) peuvent être résumées ainsi. La caractérisation des droits ancestraux devrait se faire en fonction du fondement de la doctrine des droits ancestraux, c.‑à‑d. l'occupation et l'utilisation historiques par les autochtones de leurs terres ancestrales. En conséquence, les coutumes, pratiques et traditions autochtones seront reconnues et confirmées en vertu du par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 si elles sont suffisamment importantes et fondamentales pour l'organisation sociale et la culture d'un groupe particulier d'autochtones. De plus, la période pertinente pour l'appréciation des activités autochtones ne devrait pas être fonction d'une date spécifique, par exemple l'affirmation de la souveraineté britannique, car cela aurait pour effet de cristalliser dans le temps la culture autochtone distinctive. Au contraire, comme les coutumes, pratiques et traditions autochtones changent et évoluent, elles seront protégées par le par. 35(1) si elles ont fait partie intégrante de la culture autochtone distinctive pendant une période considérable et ininterrompue. [Je souligne.]

Par conséquent, il est nécessaire de procéder à cette analyse afin de déterminer si le droit revendiqué par les autochtones en l'espèce satisfait aux critères susmentionnés.


40 À cet égard, le Juge en chef a apprécié la preuve présentée aux procès tenus dans les affaires Pamajewon et Gardner et il a conclu qu'elle n'établit pas que les jeux de hasard aient jamais joué un rôle important dans la culture de la première nation de Shawanaga et celle de la première nation de Eagle Lake. Je suis d'accord. À mon avis, les appelants n'ont pas démontré que les activités de jeux de hasard auxquelles ils se sont livrés se sont déroulées en vertu d'un droit ancestral reconnu et confirmé au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Compte tenu de la preuve présentée, il est impossible d'affirmer que les jeux de hasard, en tant que pratique, ont un lien suffisant avec le sentiment d’identité et le désir de préservation des sociétés autochtones auxquelles les appelants appartiennent pour justifier de reconnaître à ces activités la protection du par. 35(1).

41 Les appelants ont également prétendu que le par. 35(1) confère un droit général à l'autonomie gouvernementale et que ce droit inclut celui de réglementer les activités de jeux de hasard dans la réserve. Vu la conclusion que je tire concernant les jeux de hasard en tant que pratique au sein des bandes indiennes en cause, il n'est pas nécessaire que j'examine même la question de l'autonomie gouvernementale.

42 Toutefois, dans la mesure où il serait nécessaire que je me penche sur cette question, je renvoie tout simplement à mes motifs dans Van der Peet, précité, où j'ai déclaré ceci, au par. 117:

Cela m’amène aux différents types de terres auxquelles peuvent se rattacher des droits ancestraux: les terres des réserves, les terres visées par un titre aborigène et les terres visées par un droit ancestral: voir Brian Slattery, «Understanding Aboriginal Rights» [(1987), 66 R. du B. can. 727], aux pp. 743 et 744. Ces terres ont en commun le fait que le législateur fédéral et, dans une certaine mesure, les assemblées législatives provinciales possèdent un pouvoir général de légiférer à l’égard des activités des autochtones, pouvoir qui découle de l’affirmation de la souveraineté britannique sur le territoire canadien.

43 De plus, je souscris de façon générale aux motifs du juge Osborne de la Cour d'appel 1994 CanLII 2716 (ON C.A.), (1994), 21 O.R. (3d) 385, à la p. 400, lorsqu'il dit ce qui suit relativement à la présente affaire:

[TRADUCTION] Si la première nation de Shawanaga et la bande de Eagle Lake avaient certains droits en matière d'autonomie gouvernementale qui existaient en 1982 (ce que je suis disposé à tenir pour acquis), le droit d'administration invoqué doit être considéré comme tout autre droit ancestral revendiqué; il faut le situer dans son contexte historique. Il n'y a aucune preuve que les jeux de hasard sur les terres des réserves en général aient jamais été l'objet d'une réglementation autochtone. Qui plus est, il n'y a aucune preuve d'une quelconque participation historique à quoi que ce soit d'analogue aux jeux de hasard à gros enjeux en cause dans les présents cas.



44 En conséquence, je trancherais le présent pourvoi et répondrais à la question constitutionnelle de la manière proposée par le Juge en chef.

Pourvoi rejeté.

Procureurs des appelants: Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada: Le procureur général du Canada, Ottawa.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste‑Foy.

Procureur de l’intervenant le procureur général du Manitoba: Le procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Fuller & Pearlman, Victoria.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan: Le procureur général de la Saskatchewan, Regina.

Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta: Le procureur général de l’Alberta, Edmonton.


Procureurs de l’intervenante l’Assembly of Manitoba Chiefs: Buchwald, Asper, Gallagher, Henteleff, Winnipeg.

Procureur des intervenantes la Federation of Saskatchewan Indian Nations et les premières nations de White Bear: Mary Ellen Turpel‑Lafond, Saskatoon.

Procureurs des intervenants Delgamuukw et autres: Rush, Crane, Guenther & Adams, Vancouver.