Droit des Jeux d'argent et de hasard: Le poker est un skill game pour la Cour fédérale de New-York, USA v. Dicristina, United States District Court, 21st August 2012

23.8.12

Le poker est un skill game pour la Cour fédérale de New-York, USA v. Dicristina, United States District Court, 21st August 2012

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Dans le cadre de poursuites judiciaires à l’encontre de Lawrence Dicristina, la Cour fédérale des États-Unis du « Eastern district of New-York », représenté par le juge Jack B. Weinstein, a rendu une décision sur l’organisation illégale de jeux de hasard. Il s’agissait en l’occurrence du Poker Texas hold’em. 


Après s’être déclaré coupable, le défendeur Dicristina a déposé une requête en annulation et a fait valoir que dans le jeu de carte du poker Texas hold’em, le résultat dépendait plus de l’habileté des concurrents que de l’intervention du hasard. Et, par conséquent, il devait échapper à l’incrimination de violation de l’Illegal Gambling Business Act (IGBA). Afin de comprendre l’importance de cette décision, il convient d’appréhender la position du Poker au regard de la loi fédérale (I), la solution de la Cour (II), puis, enfin, la portée de la décision rendue (III). 

I La position du Poker au regard de la loi fédérale

L’hypothèse selon laquelle le Poker serait un pari sportif est difficilement soutenable devant la Cour fédérale. Il a été relevé que même si un joueur disposant d’une connaissance encyclopédique du sport est capable de parier mieux que d'autres sur les résultats d'événements sportifs, le pari est différent du poker puisque le parieur n’est pas en mesure d’influer sur le jeu. Un parieur sportif peut plus facilement porter son choix sur une équipe gagnante, mais ne peut pas le faire gagner. Au poker, en revanche, la maîtrise accrue augmente les chances d'un joueur de gagner et affecte le résultat de différentes mains. Les joueurs de poker experts s'appuient sur un éventail de talents tel que, le calcul des probabilités et la psychologie comportementale et émotionnelle qui se caractérise par l'observation de l’autre et la tromperie dans son attitude au cours des parties. Le joueur est en mesure de déployer ses compétences lorsque la chance a refusé de lui sourire. 

Comme preuve, l'accusé rapporte que les capacités des joueurs de poker permettent aux meilleurs de l'emporter sur les moins qualifiés au cours d'une série de mains. Des démonstrations probantes ont été réalisées par différents experts afin de forger l’opinion du Juge. 

II La solution de la Cour au regard de la loi fédérale 

Dicristina poker
Pour la Cour le poker est dominé par la compétence des joueurs plutôt que par les risques qu’ils encourent (V. Pennsylvannia Court, 14th January 2009, Commonwealth of Pennsylvania v. Watkins and Dent). Le Juge Jack B. Weinstein énonce qu’il incombe au gouvernement de prouver que son interprétation de l'IGBA est correcte. Bien que de nombreux États, dont celui de New York, considèrent le poker comme relevant de la définition de jeu de hasard selon le common law, cet argument n'est pas déterminant dans l'interprétation d'une loi fédérale. Le gouvernement doit démontrer qu'il est plus probable qu'improbable que le poker soit dominé par hasard plutôt que par l’habileté des concurrents. 

Le gouvernement reconnaît que les compétences jouent un rôle dans le poker (V. La démonstration par le procureur du Maryland que le Poker Texas Hold'em est un jeu de hasard). Le jeu de poker est influencé par deux éléments : la distribution des cartes déterminée par le hasard et les décisions prises par les joueurs déterminées par la compétence. Alors que les actions des joueurs sont influencées par des événements fortuits, leurs décisions sont basées sur leur sagacité. Les décisions des joueurs, à leur tour, influent sur le jeu, à la fois dans la main en cours de lecture et dans les mains suivantes. En bluffant, par exemple, les joueurs peuvent vaincre le hasard et gagner une main malgré la tenue des cartes inférieures aux autres. Selon les statistiques, il est montré que la majorité des mains de poker finissent quand un joueur provoque ses adversaires à se coucher (V. Paco Hope & Sean McCulloch, Analyse statistique du Texas Hold'em 14, 4 mars 2009). Ainsi, dès l’instant où les cartes ne sont jamais révélées, seules les décisions des joueurs déterminent le résultat. Par conséquent, la capacité des acteurs de la compétition à influencer le jeu de poker se distingue des autres jeux, tels que les paris sportifs énumérés dans les jeux illicites par la loi fédérale. 

Le fait que le hasard joue un rôle important dans l'issue de la partie ne signifie pas que le poker est un jeu essentiellement guidé par le hasard ou principalement par l’adresse des joueurs. Par exemple, le jeu d’échecs est un jeu dans lequel tous les coups possibles sont connus à l'avance, caractéristique d’un jeu de pure adresse (V. Daubert expert pour le gouvernement, 40:7-12, 40:19-21). Au poker, en revanche, les joueurs ne connaissent pas les cartes qu’ils auront entre les mains car seul le sort en est responsable. L’influence de l’aléa est souvent reprise en comparant le poker au golf (V. affaire JOKER CLUB, L.L.C., Plaintiff v. JAMES E. HARDIN, North Carolina Court of Appeals, 1 May 2007, . Dans l’affaire PGA Tour, Inc. c. Martin, 532 US 661, 687 (2001) il est dit que : le « golf est un jeu dans lequel il est impossible de garantir que ... la capacité d'un individu sera le seul déterminant du résultat. Par exemple, les changements de climat modifient la surface du green et le vent de face ou dans le dos peut également être un avantage ou un inconvénient pour le golfeur, même très expérimenté. Un rebond chanceux peut faire gagner un coup ou deux .... et la chance peut donc aussi avoir un impact sur les résultats des tournois de golf professionnels ». Pourtant, nul ne contestera que le golf soit un jeu d'adresse. 

En réalité, la question fondamentale n'est pas de savoir si le hasard ou l'adresse sont impliqués dans le jeu du poker, mais quel élément prédomine. Dès lors, selon le juge Weinstein, la compétence doit représenter un plus grand pourcentage que le hasard pour déterminer l’issue du jeu, donc plus de cinquante pour cent. 

Dans la présente affaire, plusieurs expertises ont été exposées. M. Heeb a présenté des preuves convaincantes prouvant que la compétence l'emporte sur la chance dans le poker. Ses points sont résumés comme suit : 

(1) Le poker implique un grand nombre de décisions complexes, qui permettent aux joueurs de mettre en évidence différentes compétences pour se différencier. . . ; (2) Beaucoup de gens jouent au poker pour gagner leur vie et arrive à gagner de l'argent au fil du temps. . . ; (3) les joueurs qui obtiennent des résultats supérieurs aux autres ont également tendance à obtenir de meilleurs résultats en toutes circonstances, quelle que soit la qualité de la donne, indiquant ainsi que les capacités des joueurs influencent plus les résultats que la distribution aléatoire des cartes. . . ; (4) les études publiées sur la question rejoignent ces conclusions.

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D’autres arguments intéressant ont été développés comme la maîtrise du temps accordé à tous les joueurs. En effet, chaque joueur est libre de quitter la partie quand il le souhaite, même dès la première main. Dès lors, même si une seule main est le cadre de référence pertinent pour analyser la prédominance, le Dr Heeb a montré que les excellent joueurs de poker sont en mesure de réaliser de meilleure performance que les amateurs avec la même main de départ. 

Ce témoignage au procès a établi que l’adresse était susceptible de prédominé le hasard au poker, au moins dans certains cas ou pour certains joueurs. 

III La portée de la décision de la Cour fédérale

Ni le texte de l'IGBA, ni son historique législatif ne démontrent que le Congrès a conçu l’IGBA afin d'y inclure toutes les infractions sur le jeu d’un État. Cette décision fédérale n’a pas pour effet de rendre les lois étatiques plus souples qu’elles ne le sont. La loi d’un État peut tout à fait interdire l’organisation et l’exploitation du poker sur son territoire en vertu des lois étatiques qui régissent l’ordre public locale, mais en aucun la Cour d’un État ne peut réprimer un organisateur de tournois de poker par application de l’IGBA. La règle oblige une interprétation restrictive de l'IGBA et la révocation de la condamnation du défendeur. 

« L'acte d'accusation est rejeté. Le verdict du jury est annulé ».













Matthieu Escande
Posté par :
Matthieu ESCANDE
Chercheur en Droit
Université de Toulouse I 
Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé