Droit des Jeux d'argent et de hasard: Arrêt Berlington Hungary - CJUE 11 juin 2015 (C‑98/14) - Hongrie : une taxe forfaitaire sur les machines à sous est restrictive à la libre prestation des services

15.1.16

Arrêt Berlington Hungary - CJUE 11 juin 2015 (C‑98/14) - Hongrie : une taxe forfaitaire sur les machines à sous est restrictive à la libre prestation des services

Une législation nationale, qui, sans prévoir de période transitoire, quintuple le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE pour autant qu’elle soit de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services d’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux.




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 juin 2015 (*)

«Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Jeux de hasard – Taxes nationales grevant l’exploitation des machines à sous installées dans les salles de jeux – Législation nationale interdisant l’exploitation des machines à sous hors des casinos – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Directive 98/34/CE – Obligation de communiquer les projets de règles techniques à la Commission – Responsabilité de l’État membre pour les dommages causés par une législation contraire au droit de l’Union»

Dans l’affaire C‑98/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (Hongrie), par décision du 13 février 2014, parvenue à la Cour le 3 mars 2014, dans la procédure

Berlington Hungary Tanácsadó és Szolgáltató kft,
Lixus Szerencsejáték Szervező kft,
Lixus Projekt Szerencsejáték Szervező kft,
Lixus Invest Szerencsejáték Szervező kft,
Megapolis Terminal Szolgáltató kft

contre

Magyar Állam,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, M. S. Rodin (rapporteur), M. A. Borg Barthet, Mme M. Berger et M. F. Biltgen, juges
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M. I. Illéssy,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 janvier 2015,
considérant les observations présentées:

– pour Berlington Hungary Tanácsadó és Szolgáltató kft, Lixus Szerencsejáték Szervező kft, Lixus Projekt Szerencsejáték Szervező kft, Lixus Invest Szerencsejáték Szervező kft et Megapolis Terminal Szolgáltató kft, par Me L. Kelemen, ügyvéd,
– pour le Magyar Állam, par Mes T. Bogdán et I. Janitsáry, ügyvédek,
– pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck et M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents, assistés de Mes P. Vlaemminck et B. Van Vooren, advocaten,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek, J. Vláčil et T. Müller, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme P. de Sousa Inês, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. D. Loma-Osorio Lerena et A. Tokár, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 3, TUE, des articles 34, 36, 52, paragraphe 1, 56 et 61 TFUE ainsi que des articles 1er, 8 et 9 de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 2006/96/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 81, ci-après la «directive 98/34»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Berlington Hungary Tanácsadó és Szolgáltató kft, Lixus Szerencsejáték Szervező kft, Lixus Projekt Szerencsejáték Szervező kft, Lixus Invest Szerencsejáték Szervező kft et Megapolis Terminal Szolgáltató kft au Magyar Állam (État hongrois) au sujet d’une action en réparation introduite par ces sociétés en raison d’un préjudice qu’elles auraient subi du fait de l’application de lois nationales relatives à l’exploitation des machines à sous contraires au droit de l’Union.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 1er de la directive 98/34 est libellé comme suit:
«Au sens de la présente directive, on entend par:
[...]
3) ‘spécification technique’: une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité.
[...]
4) ‘autre exigence’: une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation;
[...]
11) ‘règle technique’: une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.
Constituent notamment des règles techniques de facto:
– [...]
– [...]
– les spécifications techniques ou d’autres exigences ou les règles relatives aux services liées à des mesures fiscales ou financières qui affectent la consommation de produits ou de services en encourageant le respect de ces spécifications techniques ou autres exigences ou règles relatives aux services; ne sont pas concernées les spécifications techniques ou autres exigences ou les règles relatives aux services liées aux régimes nationaux de sécurité sociale. [...]» 4 L’article 8, paragraphe 1, de cette directive dispose:
«Sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.
[...]»
5 D’après l’article 9 de ladite directive:
«1. Les États membres reportent l’adoption d’un projet de règle technique de trois mois à compter de la date de la réception par la Commission de la communication prévue à l’article 8, paragraphe 1.
[...]

7. Les paragraphes 1 à 5 ne sont pas applicables lorsqu’un État membre
– pour des raisons urgentes tenant à une situation grave et imprévisible qui a trait à la protection de la santé des personnes et des animaux, à la préservation des végétaux ou à la sécurité et, pour les règles relatives aux services, aussi à l’ordre public, notamment à la protection des mineurs, doit élaborer à très bref délai des règles techniques pour les arrêter et les mettre en vigueur aussitôt, sans qu’une consultation soit possible

[...]

L’État membre indique dans la communication prévue à l’article 8 les motifs qui justifient l’urgence des mesures en question. La Commission se prononce sur cette communication dans les plus brefs délais. Elle prend les mesures appropriées en cas de recours abusif à cette procédure. Le Parlement européen est tenu informé par la Commission.»

6 L’article 10, paragraphe 4, de cette même directive est libellé comme suit:
«L’article 9 ne s’applique pas aux spécifications techniques ou autres exigences ou aux règles relatives aux services visées à l’article 1er, point 11, deuxième alinéa, troisième tiret.»

Le droit hongrois

7 L’article 26, paragraphe 3, de la loi n° XXXIV de 1991, relative à l’organisation de jeux de hasard (ci-après la «loi sur les jeux de hasard»), dans sa version applicable jusqu’au 9 octobre 2012, autorisait l’exploitation des machines à sous soit dans les casinos, soit dans les salles de jeux exploitées par des sociétés commerciales créées à cette seule fin.

8 Selon l’article 33 de cette loi, tel qu’applicable jusqu’au 31 octobre 2011, la taxe forfaitaire sur les jeux frappant l’exploitation des machines à sous s’élevait, par position de jeu et par mois, à 100 000 forints hongrois (HUF) pour les machines à sous installées dans les salles de jeux de catégories I et II. Par dérogation à cette règle, les machines à sous installées dans les «casinos électroniques» étaient soumises à une taxe s’élevant à 120 000 HUF, bien que ceux-ci fussent considérés comme un type spécifique de salles de jeux de catégorie I. La taxe était due pour tout mois entamé. L’exploitation des machines à sous dans les casinos de jeux était soumise à un régime fiscal distinct.

9 L’article 33 de la loi sur les jeux de hasard a été modifié par l’article 27 de la loi n° CXXV de 2011, modifiant certaines lois fiscales aux fins d’assurer la stabilité des finances publiques (ci-après la «loi modificative de 2011»), avec effet au 1er novembre 2011, de manière à porter ces montants à 700 000 HUF pour les machines à sous installées dans les casinos électroniques et à 500 000 HUF pour celles installées dans les autres salles de jeux de catégories I et II. Ledit article 27 a également institué une taxe proportionnelle sur les jeux grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux, pour autant que les recettes nettes par machine atteignent ou dépassent, pour un trimestre donné, la somme de 900 000 HUF. Pour les machines permettant plus d’une position de jeu, le seuil applicable était calculé en multipliant 900 000 HUF par le nombre de positions de jeu. Cette taxe s’élevait à 20 % de la tranche des recettes trimestrielles nettes de la machine supérieure à 900 000 HUF.

10 En outre, la loi modificative de 2011 a prévu que les machines à sous installées dans les salles de jeux seraient, à compter du 1er janvier 2013, obligatoirement reliées à un serveur central exploité par une société commerciale satisfaisant à certaines conditions déterminées et auquel les services chargés de l’inspection des jeux de hasard auraient accès en temps réel.

11 L’article 26, paragraphe 3, de la loi sur les jeux de hasard a ensuite été modifié, avec effet au 10 octobre 2012, par l’article 5 de la loi n° CXLIV de 2012, modifiant la loi n° XXXIV de 1991 relative à l’organisation de jeux de hasard (ci-après la «loi modificative de 2012»), de manière à réserver aux casinos de jeux le droit exclusif d’exploiter des machines à sous.

12 L’article 8 de la loi modificative de 2012 a inséré dans la loi sur les jeux de hasard un article 40/A, dont le paragraphe 1 prévoyait que les autorisations relatives à l’exploitation de machines à sous installées dans des salles de jeux émises avant la date d’entrée en vigueur de cette loi modificative deviendraient caduques le jour suivant cette date et que les organisateurs de jeux de hasard seraient tenus de remettre ces autorisations aux autorités fiscales dans les quinze jours suivant ladite date.
Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Les requérantes au principal sont des sociétés commerciales qui, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi modificative de 2012, exploitaient des machines à sous dans des salles de jeux. Elles exerçaient leurs activités au moyen, principalement, d’appareils provenant d’autres États membres. Une partie de leur clientèle était constituée de citoyens de l’Union européenne en vacances en Hongrie.

14 En vertu de la réglementation hongroise en vigueur entre le 16 août 1991 et le 9 octobre 2012, les machines à sous pouvaient être exploitées dans les casinos et dans les salles de jeux, moyennant l’obtention d’autorisations administratives octroyées par les services chargés de l’inspection des jeux de hasard. Les exploitants de salles de jeux, tels que les requérantes au principal, étaient tenus de verser une taxe forfaitaire mensuelle dont le montant s’élevait, au 31 octobre 2011, à 100 000 HUF par machine à sous. 

15 La loi modificative de 2011 a imposé que les machines à sous exploitées dans des salles de jeux soient, à compter du 1er janvier 2013, reliées à un serveur central.

16 Avec effet au 1er novembre 2011, cette loi a également quintuplé le montant de la taxe forfaitaire mensuelle grevant l’exploitation des machines à sous installées dans les salles de jeux, tout en y ajoutant une taxe proportionnelle, sous la forme d’un pourcentage des recettes trimestrielles nettes de chaque machine. Le montant de la taxe frappant l’exploitation des machines à sous installées dans les casinos demeurait, pour sa part, inchangé.

17 Le 30 septembre 2011, soit le jour suivant la publication de la loi modificative de 2011, le gouvernement hongrois a notifié le texte de cette loi à la Commission européenne, sans pour autant indiquer que l’augmentation des taxes instituée par ladite loi relevait du champ d’application de la directive 98/34. Le moratoire prévu à l’article 9, paragraphe 1, de cette directive n’a pas été respecté.

18 La mise en place du système d’exploitation des machines à sous sur la base d’un serveur central, telle qu’elle avait été prévue par la loi modificative de 2011, a finalement été abandonnée, le parlement hongrois ayant adopté, le 2 octobre 2012, sur proposition du gouvernement en date du 1er octobre 2012, la loi modificative de 2012 qui a interdit l’exploitation des machines à sous hors des casinos. Pour justifier une telle interdiction, le législateur a invoqué la prévention de la criminalité et de la dépendance au jeu ainsi que des considérations de santé publique en rapport avec la prévention de la dépendance au jeu. Cette loi est entrée en vigueur le 10 octobre 2012, soit le jour suivant sa publication. Le lendemain, à savoir le 11 octobre 2012, les autorisations d’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux ont expiré de plein droit, sans que le législateur n’ait prévu d’indemnisation pour les opérateurs concernés.

19 Le 1er octobre 2012, le gouvernement hongrois a notifié à la Commission le projet de la loi modificative de 2012, en qualifiant celle-ci de mesure financière au sens de l’article 1er, point 11, de la directive 98/34. En application de l’article 10, paragraphe 4, de cette directive, aucun moratoire n’a été appliqué. Le 15 octobre 2012, la Commission a fait part à ce gouvernement de son désaccord quant à cette qualification. Ledit gouvernement a alors invoqué l’existence de raisons urgentes au sens de l’article 9, paragraphe 7, de ladite directive.

20 Les requérantes au principal ont saisi la Fővárosi Törvényszék (Cour de Budapest) d’un recours contre le Magyar Állam tendant à la réparation du préjudice qu’elles prétendent avoir subi du fait de l’application de certaines dispositions de la loi modificative de 2011 et de la loi modificative de 2012. Selon ces dernières, le préjudice allégué résulte du paiement des taxes sur les jeux dont elles se sont acquittées, de la dépréciation de leurs machines à sous et des dépenses encourues dans le cadre de la procédure en cause au principal.

21 Le Magyar Állam a conclu au rejet du recours, en contestant tant la base juridique de celui-ci que les montants réclamés par les requérantes au principal.

22 Par ordonnance du 13 février 2014, la Fővárosi Törvényszék a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les quinze questions préjudicielles suivantes:

«1) Une réglementation non discriminatoire d’un État membre qui, par un seul acte et sans prévoir de temps d’adaptation, quintuple le montant antérieur de la contribution directe, appelée taxe sur les jeux, frappant les machines à sous exploitées dans les salles de jeux et qui, en outre, institue une taxe sur les jeux proportionnelle sous la forme d’un pourcentage, de sorte que l’activité des organisateurs de jeux de hasard exploitant des salles de jeux se trouve restreinte, est-elle compatible avec l’article 56 TFUE?

2) L’article 34 TFUE peut-il être interprété en ce sens qu’il inclut dans son champ d’application une réglementation non discriminatoire d’un État membre qui, par un seul acte et sans prévoir de temps d’adaptation, quintuple le montant antérieur de la contribution directe, appelée taxe sur les jeux, frappant les machines à sous exploitées dans les salles de jeux et qui, en outre, institue une taxe sur les jeux proportionnelle sous la forme d’un pourcentage, restreignant ainsi l’importation en Hongrie de machines à sous provenant de l’Union européenne?

3) En cas de réponse affirmative aux première et/ou deuxième questions, dans le cadre de l’application de l’article 36 TFUE, de l’article 52, paragraphe 1, TFUE et de l’article 61 TFUE ainsi que dans le cadre de l’application de raisons impérieuses, un État membre peut-il invoquer la seule régularisation de la situation budgétaire?

4) En cas de réponse affirmative aux première et/ou deuxième questions, vu l’article 6, paragraphe 3, TUE, faut-il tenir compte des principes généraux du droit en appréciant les restrictions instituées par un État membre et l’octroi d’un temps d’adaptation à la règle fiscale?

5) En cas de réponse affirmative aux première et/ou deuxième questions, la jurisprudence de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79) peut-elle être interprétée en ce sens que la violation de l’article 34 TFUE et/ou de l’article 56 TFUE peut fonder la responsabilité pour dommages des États membres au titre que ces dispositions garantissent, en raison de leur effet direct, un droit aux particuliers des États membres?

6) Peut-on interpréter la directive 98/34 en ce sens que constitue une ‘règle technique de facto’ la mesure fiscale nationale qui, par un seul acte, quintuple le montant d’une contribution directe, à savoir la taxe sur les jeux frappant les machines à sous exploitées dans les salles de jeux, et institue, en outre, une taxe sur les jeux proportionnelle sous la forme d’un pourcentage?
7) En cas de réponse affirmative à la sixième question, un particulier d’un État membre peut-il invoquer à l’encontre de celui-ci, en tant que manquement susceptible de justifier une obligation de réparation, la violation par ledit État membre de l’article 8, paragraphe 1, et/ou de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 98/34? La directive 98/34 vise-t-elle à garantir des droits individuels? Sur la base de quels types de critères la juridiction nationale doit-elle apprécier si le Magyar Állam a commis une infraction suffisamment caractérisée et à quel type de réparation ladite infraction donne-t-elle droit?
8) Une réglementation non discriminatoire d’un État membre qui interdit l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux avec un effet immédiat, sans accorder de période de transition et d’adaptation aux organisateurs de jeux de hasard affectés et/ou sans prévoir d’indemnisation appropriée, et qui garantit ainsi un monopole de l’exploitation des machines à sous aux casinos de jeux, est-elle conforme à l’article 56 TFUE?

9) Peut-on interpréter l’article 34 TFUE en ce sens qu’il devrait être pertinent et applicable y compris dans le cas où un État membre adopte une réglementation non discriminatoire qui, si elle n’interdit pas directement l’acquisition de machines à sous provenant de l’Union européenne, en restreint ou en interdit l’utilisation et l’exploitation dans le cadre de l’organisation de jeux de hasard sans prévoir de période de transition et d’adaptation ni d’indemnisation pour les organisateurs affectés exerçant cette activité?

10) En cas de réponse affirmative aux huitième et/ou neuvième questions, quels critères la juridiction nationale doit-elle prendre en compte dans le cadre de l’application de l’article 36 TFUE, de l’article 52, paragraphe 1, TFUE et de l’article 61 TFUE ainsi que dans le cadre de l’application de raisons impérieuses, lorsqu’elle tranche les questions de savoir si la restriction était nécessaire, appropriée et proportionnée?

11) En cas de réponse affirmative aux huitième et/ou neuvième questions, vu l’article 6, paragraphe 3, TUE, faut-il tenir compte des principes généraux du droit lors de l’appréciation de l’interdiction instituée par l’État membre et de la période d’adaptation? Les droits fondamentaux – tels que le droit de propriété et l’interdiction de priver quiconque de sa propriété sans indemnisation – doivent-ils entrer en ligne de compte en rapport avec la restriction en cause en l’espèce et, dans l’affirmative, de quelle manière?

12) En cas de réponse affirmative aux huitième et/ou neuvième questions, la jurisprudence de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79) peut-elle être interprétée en ce sens que la violation de l’article 34 TFUE et/ou de l’article 56 TFUE peut fonder la responsabilité pour dommages des États membres au titre que ces dispositions garantissent, en raison de leur effet direct, un droit aux particuliers des États membres?

13) Peut-on interpréter la directive 98/34/CE en ce sens que constitue une ‘autre exigence’ la mesure nationale qui, réservant l’exploitation des machines à sous aux casinos de jeux, l’interdit dans les salles de jeux?

14) En cas de réponse affirmative à la treizième question, un particulier d’un État membre peut-il invoquer à l’encontre de celui-ci, en tant que manquement susceptible de justifier une obligation de réparation, la violation par ledit État membre de l’article 8, paragraphe 1, et/ou de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 98/34? Sur la base de quels types de critères la juridiction nationale doit-elle apprécier si la partie défenderesse a commis une infraction suffisamment caractérisée et à quel type de réparation ladite infraction donne-t-elle droit?

15) Le principe de droit de l’Union selon lequel les États membres sont tenus d’indemniser les particuliers pour les préjudices résultant d’infractions au droit de l’Union qui leur sont imputables doit-il également s’appliquer lorsqu’un État membre est souverain dans le domaine affecté par la disposition adoptée? Les droits fondamentaux et les principes généraux issus des traditions constitutionnelles des États membres servent-ils de lignes directrices dans ce cas également?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la compétence de la Cour

23 À titre liminaire, le gouvernement hongrois conteste, en substance, la compétence de la Cour pour répondre aux questions posées au motif que le litige au principal ne présenterait, à défaut d’un élément transfrontalier, aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union.

24 À cet égard, il convient de rappeler que des législations nationales telles que celles en cause au principal, qui sont indistinctement applicables aux ressortissants hongrois et aux ressortissants des autres États membres, ne sont, en règle générale, susceptibles de relever des dispositions relatives aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE que dans la mesure où elles s’appliquent à des situations ayant un lien avec les échanges entre les États membres (voir, en ce sens, arrêts Anomar e.a., C‑6/01, EU:C:2003:446, point 39, et Garkalns, C‑470/11, EU:C:2012:505, point 21).

25 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi qu’une partie de la clientèle des requérantes au principal était composée de citoyens de l’Union en vacances en Hongrie.

26 Or, les services qu’un prestataire établi dans un État membre fournit, sans se déplacer, à un destinataire établi dans un autre État membre constituent une prestation de services transfrontalière, au sens de l’article 56 TFUE (voir, en ce sens, arrêts Alpine Investments, C‑384/93, EU:C:1995:126, points 21 et 22; Gambelli e.a., C‑243/01, EU:C:2003:597, point 53, et Commission/Espagne, C‑211/08, EU:C:2010:340, point 48).

27 En outre, il ne saurait nullement être exclu que des opérateurs établis dans des États membres autres que la Hongrie aient été ou soient intéressés à ouvrir des salles de jeux sur le territoire hongrois (voir, en ce sens, arrêts Blanco Pérez et Chao Gómez, C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2010:300, point 40, ainsi que Garkalns, C‑470/11, EU:C:2012:505, point 21).

28 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées.
Sur l’existence de restrictions aux libertés fondamentales
Sur les première et deuxième questions

29 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si une législation nationale, telle que la loi modificative de 2011, qui, sans prévoir de période transitoire, quintuple le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux et institue, de surcroît, une taxe proportionnelle grevant cette même activité constitue une restriction à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services, garanties respectivement par les articles 34 TFUE et 56 TFUE.

30 À titre liminaire, il y a lieu de relever qu’une législation de cette nature affecte directement l’activité d’exploitation des machines à sous. Ce n’est, en revanche, qu’indirectement, en conséquence de l’influence qu’elle exerce sur cette activité, qu’une telle législation est susceptible d’affecter l’importation de ces machines.

31 Sans qu’il soit nécessaire d’analyser l’importation de machines à sous comme étant l’accessoire de leur exploitation, il convient de constater que, quand bien même l’exploitation de ces appareils serait liée à l’opération consistant à les importer, la première de ces activités relève des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services et la seconde de celles relatives à la libre circulation des marchandises (arrêt Anomar e.a., C‑6/01, EU:C:2003:446, point 55).

32 Or, même à supposer qu’une législation nationale, telle que la loi modificative de 2011, soit de nature à entraver l’importation des machines à sous pour autant qu’elle en limite les possibilités d’exploitation, la Cour n’est pas en mesure, dans le cadre de la présente procédure, de se prononcer sur la question de savoir si l’article 34 TFUE s’oppose à l’application d’une telle législation en l’absence de précisions suffisantes sur les conséquences effectives de cette législation sur l’importation des machines à sous (voir, en ce sens, arrêt Läärä e.a., C‑124/97, EU:C:1999:435, point 26).

33 Dans ces conditions, il convient d’examiner une législation de cette nature sous l’angle du seul article 56 TFUE.

34 À cet égard, il importe de préciser d’emblée que, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité (voir, en ce sens, arrêt Blanco et Fabretti, C‑344/13 et C‑367/13, EU:C:2014:2311, point 24 et jurisprudence citée).

35 L’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction à la libre prestation des services, même si cette restriction s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (voir, en ce sens, arrêts Sporting Exchange, C‑203/08, EU:C:2010:307, point 23 et jurisprudence citée, ainsi que HIT et HIT LARIX, C‑176/11, EU:C:2012:454, point 16).

36 En revanche, ne sont pas visées par l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre (arrêt Mobistar et Belgacom Mobile, C‑544/03 et C‑545/03, EU:C:2005:518, point 31).

37 Il est constant que la loi modificative de 2011 n’établit aucune discrimination directe entre les sociétés hongroises et les sociétés établies dans d’autres États membres exploitant des machines à sous dans des salles de jeux sur le territoire hongrois, dès lors que la taxe forfaitaire et la taxe proportionnelle instituées par cette loi sont levées dans des conditions identiques pour toutes ces sociétés.

38 Par ailleurs, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des observations soumises par les parties à la procédure que les sociétés exploitant des salles de jeux sur le marché hongrois seraient majoritairement établies dans d’autres États membres, auquel cas les législations en cause au principal seraient susceptibles de constituer une discrimination indirecte à l’encontre des prestataires de services établis dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêts Spotti, C‑272/92, EU:C:1993:848, point 18, et Hervis Sport- és Divatkereskedelmi, C‑385/12, EU:C:2014:47, points 39 et 41).

39 Toutefois, les requérantes au principal allèguent que la loi modificative de 2011, en augmentant drastiquement le montant des taxes grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux, a fait obstacle à une exploitation rentable de ces machines par les exploitants de salles de jeux et a, ainsi, accordé pour cette activité une exclusivité de fait aux exploitants de casinos. En particulier, dès lors qu’une salle de jeux de catégorie I aurait réalisé en moyenne des recettes mensuelles s’élevant à 200 000 HUF par machine à sous, le prélèvement du montant de 500 000 HUF au titre de la taxe forfaitaire mensuelle aurait entraîné, à lui seul, une perte mensuelle moyenne immédiate de 300 000 HUF par machine à sous. En tout état de cause, même à supposer que certains exploitants de salles de jeux auraient perçu des recettes plus importantes, le bénéfice restant après déduction desdites taxes et frais divers aurait été inexistant ou, tout au plus, minime.

40 À cet égard, il convient de constater que, dans l’hypothèse où la loi modificative de 2011 aurait été effectivement de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services d’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux en Hongrie, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, elle devrait être considérée comme une entrave à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE.

41 Tel serait le cas si la juridiction de renvoi constatait que l’augmentation des taxes prévue par la loi modificative de 2011 a eu pour effet de confiner l’activité d’exploitation des machines à sous aux casinos, auxquels cette augmentation ne s’appliquait pas. Ainsi, ladite augmentation aurait produit un effet comparable à celui d’une interdiction d’exploitation des machines à sous hors des casinos, qu’une jurisprudence constante considère comme une entrave à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts Anomar e.a., C‑6/01, EU:C:2003:446, point 75, et Commission/Grèce, C‑65/05, EU:C:2006:673, point 53).

42 Partant, il convient de répondre à la première question qu’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, sans prévoir de période transitoire, quintuple le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux et institue, de surcroît, une taxe proportionnelle grevant cette même activité constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE pour autant qu’elle soit de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services d’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

43 Pour les raisons mentionnées aux points 30 à 32, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.
Sur les huitième et neuvième questions

44 Par ses huitième et neuvième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si une législation nationale, telle que la loi modificative de 2012, qui, sans prévoir ni période transitoire ni indemnisation des exploitants de salles de jeux, interdit l’exploitation des machines à sous hors des casinos constitue une restriction à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services, garanties respectivement par les articles 34 TFUE et 56 TFUE.

45 Il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que certains arguments présentés à la Cour par les parties au principal concernent des problèmes qui ne relèvent pas des questions préjudicielles précitées et qui sont tirés d’éléments de fait étrangers au cadre factuel tel que décrit par la décision de renvoi.

46 En particulier, les requérantes au principal ont fait valoir dans leurs observations écrites, et le gouvernement hongrois a confirmé lors de l’audience, que seuls sont autorisés à exploiter un casino sur le territoire hongrois les opérateurs titulaires d’une concession octroyée par le Magyar Állam. Or, les concessions d’exploitation d’un casino ne seraient accordées qu’à un nombre limité d’établissements et pourraient, dans certaines circonstances, être attribuées sans appel d’offres préalable. En outre, selon les requérantes au principal, seules des sociétés établies en Hongrie auraient, jusqu’à présent, obtenu une concession. Ainsi, les procédures hongroises d’octroi de ces concessions défavoriseraient en pratique les opérateurs établis dans d’autres États membres.

47 La question de la conformité desdites procédures au droit de l’Union est, cependant, distincte de la question de la conformité au droit de l’Union de l’interdiction d’exploiter des machines à sous hors des casinos, laquelle fait exclusivement l’objet des questions posées par la juridiction de renvoi.

48 À cet égard, il convient de préciser qu’il appartient à la seule juridiction nationale de définir l’objet des questions qu’elle entend poser à la Cour. Celle-ci ne saurait, à la demande d’une partie au litige au principal, examiner des questions qui ne lui ont pas été soumises par la juridiction nationale. Si cette dernière, au vu de l’évolution du litige, devait estimer nécessaire d’obtenir des éléments supplémentaires d'interprétation du droit de l’Union, il lui appartiendrait de saisir à nouveau la Cour (voir, en ce sens, arrêts CBEM, 311/84, EU:C:1985:394, point 10; Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias e.a., C‑381/89, EU:C:1992:142, point 19, et Slob, C‑236/02, EU:C:2004:94, point 29). Il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’examiner les arguments visés au point 46 du présent arrêt.
49 Partant, il convient de déterminer si une législation nationale telle que la loi modificative de 2012 entrave la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services dans la mesure où elle interdit l’exploitation des machines à sous hors des casinos, cette question étant indépendante de celle de savoir si, par ailleurs, la réglementation hongroise relative à la procédure d’octroi des concessions d’exploitation d’un casino comporte également des restrictions à ces libertés.

50 Pour les raisons exposées aux points 30 à 32, il y a lieu d’examiner une telle législation nationale sous l’angle du seul article 56 TFUE.

51 À ce propos, il découle, notamment, de la jurisprudence rappelée au point 41 qu’une législation nationale qui n’autorise l’exploitation et la pratique de certains jeux de hasard que dans les casinos constitue une entrave à la libre prestation des services.

52 Dans ces conditions, il convient de répondre à la huitième question qu’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, sans prévoir ni période transitoire ni indemnisation des exploitants de salles de jeux, interdit l’exploitation des machines à sous hors des casinos constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE.

53 Il n’y a pas lieu de répondre à la neuvième question.
Sur la justification des restrictions à la libre prestation des services

54 Par ses troisième, quatrième, dixième et onzième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, dans quelle mesure les restrictions qui sont susceptibles de découler de législations nationales telles que celles en cause au principal peuvent être admises au titre des mesures dérogatoires expressément prévues aux articles 51 TFUE et 52 TFUE, applicables en la matière en vertu de l’article 62 TFUE, ou justifiées, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général.

55 Dès lors que la loi modificative de 2011 et la loi modificative de 2012 s’inscrivent l’une et l’autre dans le cadre d’une réforme nationale ayant pour objet d’entraver l’exploitation des machines à sous et que le législateur hongrois a invoqué les mêmes objectifs pour justifier ces deux législations, il convient d’examiner conjointement la question de la justification éventuelle des restrictions découlant desdites lois.
Sur l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général

56 Il y a lieu de rappeler d’emblée que la réglementation des jeux de hasard fait partie des domaines dans lesquels des divergences considérables d’ordre moral, religieux et culturel existent entre les États membres. En l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, les États membres sont, en principe, libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et, le cas échéant, de définir avec précision le niveau de protection recherché (voir, en ce sens, arrêts Dickinger et Ömer, C‑347/09, EU:C:2011:582, point 47, ainsi que Digibet et Albers, C‑156/13, EU:C:2014:1756, point 24).
57 L’identification des objectifs effectivement poursuivis par la réglementation nationale relève, dans le cadre d’une affaire dont est saisie la Cour au titre de l’article 267 TFUE, de la compétence de la juridiction de renvoi (arrêt Pfleger e.a., C‑390/12, EU:C:2014:281, point 47).
58 Cela étant, il convient de constater que les objectifs déclarés comme étant ceux poursuivis par les législations en cause au principal, à savoir la protection des consommateurs contre la dépendance au jeu et la prévention de la criminalité et de la fraude liées au jeu, constituent des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier des restrictions aux activités de jeux de hasard (voir, en ce sens, arrêts Carmen Media Group, C‑46/08, EU:C:2010:505, point 55, ainsi que Stanley International Betting et Stanleybet Malta, C‑463/13, EU:C:2015:25, points 48 et 49 ainsi que jurisprudence citée).

59 Les requérantes au principal font cependant valoir que l’objectif principal de la loi modificative de 2011 consisterait, en réalité, à augmenter les recettes fiscales générées par l’exploitation des machines à sous.

60 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que le seul objectif de maximiser les recettes du Trésor public ne saurait permettre une restriction à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts Dickinger et Ömer, C‑347/09, EU:C:2011:582, point 55, ainsi que Pfleger e.a., C‑390/12, EU:C:2014:281, point 54).

61 Toutefois, la circonstance qu’une restriction aux activités de jeux de hasard bénéficie accessoirement au budget de l’État membre concerné n’empêche pas cette restriction d’être justifiée dans la mesure où elle poursuit d’abord effectivement des objectifs relatifs à des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts Zenatti, C‑67/98, EU:C:1999:514, point 36, ainsi que Gambelli e.a., C‑243/01, EU:C:2003:597, point 62), ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
Sur la proportionnalité des entraves à l’article 56 TFUE
62 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le choix des modalités d’organisation et de contrôle des activités d’exploitation et de pratique des jeux de hasard ou d’argent, telles la conclusion avec l’État d’un contrat administratif de concession ou la limitation de l’exploitation et de la pratique de certains jeux aux lieux dûment autorisés à cet effet, incombe aux autorités nationales dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation (arrêts Anomar e.a., C‑6/01, EU:C:2003:446, point 88, ainsi que Carmen Media Group, C‑46/08, EU:C:2010:505, point 59).

63 En effet, une autorisation limitée de ces jeux dans le cadre de droits spéciaux ou exclusifs accordés ou concédés à certains organismes, qui présente notamment l’avantage de canaliser l’envie de jouer et l’exploitation des jeux dans un circuit contrôlé, est susceptible de s’inscrire dans la poursuite des objectifs d’intérêt général de protection du consommateur et de protection de l’ordre social (voir, notamment, arrêts Läärä, C‑124/97, EU:C:1999:435, point 37; Zenatti, C‑67/98, EU:C:1999:514, point 35, ainsi que Anomar e.a., C‑6/01, EU:C:2003:446, point 74).

64 Les restrictions imposées par les États membres doivent, néanmoins, satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité, c’est-à-dire être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. Il y a lieu, en outre, de rappeler, dans ce contexte, qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond effectivement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (voir arrêt HIT et HIT LARIX, C‑176/11, EU:C:2012:454, point 22 et jurisprudence citée).

65 C’est à l’État membre cherchant à se prévaloir d’un objectif propre à légitimer l’entrave à la libre prestation des services qu’il incombe de fournir à la juridiction appelée à se prononcer sur cette question tous les éléments de nature à permettre à celle-ci de s’assurer que ladite mesure satisfait bien aux exigences découlant du principe de proportionnalité (voir arrêts Dickinger et Ömer, C‑347/09, EU:C:2011:582, point 54, ainsi que Pfleger e.a., C‑390/12, EU:C:2014:281, point 50).

66 En l’occurrence, les requérantes au principal allèguent que les législations en cause au principal ne répondent pas véritablement au souci d’atteindre, d’une manière cohérente et systématique, les objectifs d’intérêt public invoqués.
67 Elles font valoir, d’une part, que le législateur hongrois aurait, à la suite des réformes mises en place par ces législations, libéralisé l’exploitation par les casinos des jeux de hasard en ligne, y compris des machines à sous en ligne, à compter du 19 juillet 2013. D’autre part, sept nouvelles concessions d’exploitation de casinos auraient été délivrées au cours de l’année 2014, ce qu’a d’ailleurs confirmé le gouvernement hongrois lors de l’audience.
68 Il y a lieu de considérer que de telles circonstances sont, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, susceptibles de s’inscrire dans le cadre d’une politique d’expansion contrôlée des activités de jeux de hasard.

69 Or, la Cour a jugé qu’une telle politique peut être cohérente tant avec l’objectif consistant à prévenir l’exploitation des activités de jeux de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses qu’avec celui de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, en dirigeant les consommateurs vers l’offre émanant des opérateurs autorisés, offre censée être à la fois à l’abri d’éléments criminels et conçue pour mieux sauvegarder les consommateurs contre des dépenses excessives et l’assuétude au jeu (voir, en ce sens, arrêts Stoß e.a., C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504, points 101 et 102, ainsi que Zeturf, C‑212/08, EU:C:2011:437, point 67).

70 Afin d’atteindre cet objectif de canalisation vers des circuits contrôlés, les opérateurs autorisés doivent constituer une alternative fiable, mais en même temps attrayante, à une activité interdite, ce qui peut impliquer notamment le recours à de nouvelles techniques de distribution (voir, en ce sens, arrêts Placanica e.a., C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, EU:C:2007:133, point 55; Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, C‑258/08, EU:C:2010:308, point 25, et Dickinger et Ömer, C‑347/09, EU:C:2011:582, point 64).

71 Toutefois, une politique d’expansion contrôlée des activités de jeux de hasard ne saurait être considérée comme cohérente que si, d’une part, les activités criminelles et frauduleuses liées aux jeux et, d’autre part, l’assuétude au jeu pouvaient, à l’époque des faits au principal, constituer un problème en Hongrie et si une expansion des activités autorisées et réglementées aurait été de nature à remédier à un tel problème (voir, en ce sens, arrêts Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, C‑258/08, EU:C:2010:308, point 30; Zeturf, C‑212/08, EU:C:2011:437, point 70, ainsi que Dickinger et Ömer, C‑347/09, EU:C:2011:582, point 67). 72 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, dans le cadre de l’affaire dont elle est saisie, si ces conditions se trouvent réunies et, le cas échéant, si la politique d’expansion en cause n’a pas une ampleur susceptible de la rendre inconciliable avec l’objectif de réfréner la dépendance au jeu (voir, en ce sens, arrêt Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, C‑258/08, EU:C:2010:308, point 38).

73 À cette fin, ladite juridiction doit effectuer une appréciation globale des circonstances entourant l’adoption et la mise en œuvre des législations restrictives en cause.
Sur l’examen des justifications à la lumière des droits fondamentaux
74 Par ailleurs, il convient de rappeler que, lorsqu’un État membre invoque des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier une réglementation qui est de nature à entraver l’exercice de la libre prestation des services, cette justification doit également être interprétée à la lumière des principes généraux du droit de l’Union et notamment des droits fondamentaux désormais garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»). Ainsi, la réglementation nationale en cause ne pourra bénéficier des exceptions prévues que si elle est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect (voir, en ce sens, arrêts ERT, C‑260/89, EU:C:1991:254, point 43; Familiapress, C‑368/95, EU:C:1997:325, point 24, et Ålands Vindkraft, C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 125).

75 En l’occurrence, les requérantes au principal font valoir que les législations en cause au principal portent atteinte, d’une part, aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime et, d’autre part, au droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte.
– Sur les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

76 Les requérantes au principal soutiennent que les législations en cause au principal, en augmentant de manière drastique le montant des taxes sur les jeux grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux tout en prévoyant la transition vers un système d’exploitation sur la base d’un serveur central, puis en interdisant l’exploitation de ces machines hors des casinos, sans période transitoire appropriée ni indemnisation des opérateurs concernés, violent les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
77 À cet égard, il y a lieu de souligner que le principe de sécurité juridique, qui a pour corollaire celui de la protection de la confiance légitime, exige, notamment, que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêts VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 80 et jurisprudence citée; ASM Brescia, C‑347/06, EU:C:2008:416, point 69, et Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation, C‑362/12, EU:C:2013:834, point 44).

78 La Cour a également jugé qu’un opérateur économique ne saurait placer sa confiance dans l’absence totale de modification législative, mais uniquement mettre en cause les modalités d’application d’une telle modification (voir, en ce sens, arrêt Gemeente Leusden et Holin Groep, C‑487/01 et C‑7/02, EU:C:2004:263, point 81).

79 De même, le principe de sécurité juridique n’exige pas l’absence de modification législative, mais requiert plutôt que le législateur national tienne compte des situations particulières des opérateurs économiques et prévoie, le cas échéant, des adaptations à l’application des nouvelles règles juridiques (arrêts VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, point 81, et Plantanol, C‑201/08, EU:C:2009:539, point 49; voir, en ce sens, arrêt Gemeente Leusden et Holin Groep, C‑487/01 et C‑7/02, EU:C:2004:263, point 70).

80 Selon une jurisprudence constante, il incombe à la seule juridiction de renvoi d’examiner si une législation nationale est conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, étant uniquement compétente pour fournir à cette juridiction tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent lui permettre d’apprécier cette conformité (voir, notamment, arrêts Plantanol, C‑201/08, EU:C:2009:539, point 45 et jurisprudence citée, ainsi que Ålands Vindkraft, C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 126).

81 La juridiction de renvoi peut tenir compte, à cet effet, de tous les éléments pertinents qui ressortent des termes, de la finalité ou de l’économie des législations concernées (voir, en ce sens, arrêt Ålands Vindkraft, C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 129).

82 En vue de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient de relever, en particulier, les éléments suivants qui ressortent du dossier soumis à la Cour.

83 S’agissant, en premier lieu, de la loi modificative de 2011, les requérantes au principal font valoir que celle-ci a quintuplé le montant de la taxe forfaitaire frappant l’exploitation de machines à sous dans les salles de jeux, tout en instituant une taxe proportionnelle, avec effet au 1er novembre 2011, soit dès la première échéance mensuelle suivant la publication de cette loi, alors que le régime fiscal applicable à cette activité n’avait fait l’objet d’aucune modification législative pendant près de vingt ans. Ainsi, selon les requérantes au principal, en raison de cette absence de période d’adaptation appropriée, les opérateurs qui projetaient d’ouvrir de nouvelles salles de jeux se sont trouvés dans l’impossibilité de prendre en temps utile les dispositions nécessaires pour reporter la mise en œuvre de leur projet ou pour renoncer à celui-ci. L’augmentation du montant des taxes grevant l’exploitation de machines à sous dans des salles de jeux aurait, de surcroît, contraint de nombreux opérateurs à cesser cette activité.

84 En ce qui concerne, en second lieu, la loi modificative de 2012, il ressort de la décision de renvoi que celle-ci a entraîné, le jour suivant son entrée en vigueur, la révocation de plein droit des autorisations d’exploiter des machines à sous dans des salles de jeux, sans prévoir ni période transitoire ni indemnisation des opérateurs concernés.

85 À ce propos, il convient d’observer que, lorsque le législateur national révoque des autorisations permettant à leurs titulaires d’exercer une activité économique, il lui incombe de prévoir, au bénéfice de ces titulaires, une période transitoire d’une durée suffisante pour leur permettre de s’adapter ou un système de compensation raisonnable (voir, en ce sens, Cour EDH, Vékony c. Hongrie, n° 65681/13, § 34 et 35, 13 janvier 2015).

86 Par ailleurs, les requérantes au principal font valoir qu’elles ont, avant l’entrée en vigueur de la loi modificative de 2012, effectué des dépenses en vue de s’adapter à la mise en place, prévue par la loi modificative de 2011, du nouveau système d’exploitation des machines à sous. Ce système d’exploitation, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2013, impliquait que les machines à sous exploitées dans des salles de jeux fonctionneraient en ligne et seraient reliées à un serveur central. Or, cette attente légitime aurait été anéantie avec effet immédiat par suite de l’adoption de la loi modificative de 2012. 87 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’un opérateur économique qui a procédé à des investissements coûteux aux fins de se conformer au régime adopté précédemment par le législateur est susceptible d’être considérablement affecté dans ses intérêts par une suppression anticipée de ce régime, et cela d’autant plus lorsque celle-ci est effectuée de manière soudaine et imprévisible, sans lui laisser le temps nécessaire pour s’adapter à la nouvelle situation législative (voir, en ce sens, arrêt Plantanol, C‑201/08, EU:C:2009:539, point 52).

88 Il appartient à la juridiction nationale de vérifier, en tenant compte de l’ensemble des considérations qui précèdent, si des législations nationales telles que celles en cause au principal satisfont aux exigences découlant des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
– Sur le droit de propriété

89 Les requérantes au principal allèguent également que des législations nationales telles que celles en cause au principal violent le droit de propriété des exploitants de salles de jeux, consacré à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte.

90 À cet égard, il convient de rappeler qu’une législation nationale restrictive au titre de l’article 56 TFUE est également susceptible de restreindre le droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte. De même, la Cour a déjà jugé qu’une restriction non justifiée ou disproportionnée à la libre prestation des services au titre de l’article 56 TFUE n’est pas non plus admissible, en vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, par rapport à l’article 17 de cette dernière (arrêt Pfleger e.a., C‑390/12, EU:C:2014:281, points 57 et 59).

91 Il s’ensuit que, en l’occurrence, l’examen, effectué aux points 56 à 73 du présent arrêt, de la restriction représentée par des législations telles que celles en cause au principal au titre de l’article 56 TFUE couvre également les éventuelles restrictions de l’exercice du droit de propriété garanti par l’article 17 de la Charte de sorte qu’un examen séparé à ce titre n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt Pfleger e.a., C‑390/12, EU:C:2014:281, point 60).
Réponses à apporter aux troisième, quatrième, dixième et onzième questions

92 Au vu de tout ce qui précède, il convient de répondre aux troisième, quatrième, dixième et onzième questions que les restrictions à la libre prestation des services qui sont susceptibles de découler de législations nationales telles que celles en cause au principal ne peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général que pour autant que la juridiction nationale conclue, au terme d’une appréciation globale des circonstances entourant l’adoption et la mise en œuvre de ces législations:
– qu’elles poursuivent d’abord effectivement des objectifs relatifs à la protection des consommateurs contre la dépendance au jeu et à la lutte contre les activités criminelles et frauduleuses liées au jeu, la seule circonstance qu’une restriction aux activités de jeux de hasard bénéficie accessoirement, au moyen d’une augmentation des recettes fiscales, au budget de l’État membre concerné ne faisant pas obstacle à ce que cette restriction puisse être regardée comme poursuivant d’abord effectivement de tels objectifs;
– qu’elles poursuivent ces mêmes objectifs de manière cohérente et systématique, et
– qu’elles satisfont aux exigences découlant des principes généraux de droit de l’Union, en particulier des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que du droit de propriété.

Sur l’existence de violations de la directive 98/34

93 Par ses sixième et treizième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, point 11, de la directive 98/34 doit être interprété en ce sens que des dispositions nationales, telles que les règles fiscales prévues par la loi modificative de 2011 et l’interdiction d’exploiter des machines à sous hors des casinos instituée par la loi modificative de 2012, constituent des «règles techniques» au sens de cette disposition, dont les projets doivent faire l’objet de la communication prévue à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive.

94 S’agissant, en premier lieu, de dispositions nationales telles que celles de la loi modificative de 2011, cette juridiction cherche à savoir, plus particulièrement, si de telles dispositions peuvent être qualifiées de «règles techniques de facto» au sens de l’article 1er, point 11, troisième tiret, de la directive 98/34.

95 Aux termes dudit article 1er, point 11, troisième tiret, les «règles techniques de facto» au sens de cette disposition consistent en des «spécifications techniques ou [...] autres exigences ou [...] règles relatives aux services liées à des mesures fiscales ou financières qui affectent la consommation de produits ou de services en encourageant le respect de ces spécifications techniques ou autres exigences ou règles relatives aux services».

96 Il ressort de ce libellé que la notion de «règles techniques de facto» désigne non pas les mesures fiscales elles-mêmes, mais les spécifications techniques ou les autres exigences qui y sont liées.

97 Partant, une législation fiscale telle que celle en cause au principal, qui ne s’accompagne d’aucune spécification technique ni d’aucune autre exigence dont elle viserait à assurer le respect, ne saurait être qualifiée de «règle technique de facto».
98 En ce qui concerne, en second lieu, des dispositions nationales telles que celles de la loi modificative de 2012, la Cour a déjà jugé qu’une mesure nationale qui réserve l’organisation de certains jeux de hasard aux seuls casinos constitue une «règle technique» au sens dudit article 1er, point 11, dans la mesure où elle est susceptible d’influencer de manière significative la nature ou la commercialisation des produits utilisés dans ce contexte (voir, en ce sens, arrêts Commission/Grèce, C‑65/05, EU:C:2006:673, point 61, ainsi que Fortuna e.a., C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11, EU:C:2012:495, points 24 et 40).

99 Or, une interdiction d’exploiter des machines à sous hors des casinos, telle que celle qu’a instituée la loi modificative de 2012, est susceptible d’influencer de manière significative la commercialisation de ces machines, lesquelles constituent des biens susceptibles de relever de l’article 34 TFUE (voir arrêt Läärä e.a., C‑124/97, EU:C:1999:435, points 20 et 24), en en réduisant les canaux d’exploitation.

100 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux sixième et treizième questions que l’article 1er, point 11, de la directive 98/34 doit être interprété en ce sens que:
– les dispositions d’une législation nationale qui quintuplent le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux et institue, de surcroît, une taxe proportionnelle grevant cette même activité ne constituent pas des «règles techniques» au sens de cette disposition, et que
– les dispositions d’une législation nationale qui interdisent l’exploitation des machines à sous hors des casinos constituent des «règles techniques» au sens de ladite disposition, dont les projets doivent faire l’objet de la communication prévue à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive.
Sur l’existence d’une obligation de réparation dans le chef de l’État membre concerné
Sur les cinquième et douzième questions

101 Par ses cinquième et douzième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 34 TFUE et 56 TFUE ont pour objet de conférer des droits aux particuliers, de telle manière que leur violation par un État membre, y compris du fait de l’activité législative de celui-ci, entraîne un droit pour les particuliers d’obtenir de la part de cet État membre la réparation du préjudice subi en raison de cette violation.

102 À cet égard, compte tenu des considérations développées aux points 30 à 32 du présent arrêt, il n’y a lieu de répondre à ces questions que dans la mesure où elles se réfèrent à l’article 56 TFUE.

103 Il convient de rappeler d’emblée que le principe de la responsabilité de l’État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables est valable pour toute hypothèse de violation du droit de l’Union par un État membre, et ce quel que soit l’organe de l’État membre dont l’action ou l’omission est à l’origine du manquement (arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 32, ainsi que Köbler, C‑224/01, EU:C:2003:513, point 31 et jurisprudence citée). Ce principe est donc applicable notamment lorsque le manquement reproché est attribué au législateur national (arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 36).

104 Selon une jurisprudence constante, un droit à réparation est reconnu par le droit de l’Union dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées (voir, notamment, arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 51; Danske Slagterier, C‑445/06, EU:C:2009:178, point 20, et Commission/Italie, C‑379/10, EU:C:2011:775, point 40).

105 S’agissant de la première de ces conditions, qui fait l’objet des questions posées par la juridiction de renvoi, il ressort de la jurisprudence que les dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales engendrent, pour les particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir, en ce sens, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 54).
106 Par conséquent, il y a lieu de répondre aux cinquième et douzième questions préjudicielles que l’article 56 TFUE a pour objet de conférer des droits aux particuliers, de telle manière que sa violation par un État membre, y compris du fait de l’activité législative de celui-ci, entraîne un droit pour les particuliers d’obtenir de la part de cet État membre la réparation du préjudice subi en raison de cette violation, pour autant que ladite violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette même violation et le préjudice subi, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
Sur les septième et quatorzième questions

107 Par ses septième et quatorzième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 8 et 9 de la directive 98/34 ont pour objet de conférer des droits aux particuliers, de telle manière que leur violation par un État membre entraîne un droit pour les particuliers d’obtenir de la part de cet État membre la réparation du préjudice subi du fait de cette violation.

108 À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, bien que la directive 98/34 vise à garantir la libre circulation des marchandises en organisant un contrôle préventif dont l’efficacité requiert que soit écartée, dans le cadre d’un litige entre particuliers, une mesure nationale adoptée en violation des articles 8 et 9 de celle-ci, cette directive ne définit nullement le contenu matériel de la règle de droit sur le fondement de laquelle le juge national doit trancher le litige pendant devant lui. Ainsi, ladite directive ne crée ni des droits ni des obligations pour les particuliers (arrêt Unilever, C‑443/98, EU:C:2000:496, point 51).

109 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la première des conditions énumérées au point 104 n’est pas remplie, de sorte que les particuliers ne sauraient se prévaloir du non-respect des articles 8 et 9 de cette même directive aux fins d’engager la responsabilité de l’État membre concerné sur le fondement du droit de l’Union.

110 En conséquence, il convient de répondre aux septième et quatorzième questions que les articles 8 et 9 de la directive 98/34 n’ont pas pour objet de conférer des droits aux particuliers, de telle sorte que leur violation par un État membre n’entraîne pas un droit pour les particuliers d’obtenir de la part de cet État membre la réparation du préjudice subi du fait de cette violation sur le fondement du droit de l’Union.
Sur la quinzième question

111 Par sa quinzième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, dans quelle mesure le fait que des législations nationales, telles que celles en cause au principal, concernent un domaine relevant de la compétence des États membres affecte les réponses à apporter aux cinquième, septième, douzième et quatorzième questions.

112 Il suffit de rappeler, à cet égard, que, ainsi qu’il a été souligné au point 34, les États membres sont tenus d’exercer leurs compétences dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité, lesquelles s’appliquent aux situations, telles que celles en cause au principal, qui relèvent du champ d’application du droit de l’Union.

113 Dans ces conditions, les justifications avancées par un État membre à l’appui d’une restriction auxdites libertés doivent être interprétées à la lumière des droits fondamentaux, même lorsque cette restriction concerne un domaine relevant de la compétence de cet État membre, dès lors que la situation concernée relève du champ d’application du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 21).

114 De même, toute violation du droit de l’Union commise par un État membre, y compris lorsqu’elle concerne un domaine relevant de la compétence de cet État membre, entraîne la responsabilité de celui-ci dans la mesure où les conditions rappelées au point 104 du présent arrêt se trouvent réunies.

115 Partant, il y a lieu de répondre à la quinzième question que le fait que des législations nationales, telles que celles en cause au principal, concernent un domaine relevant de la compétence des États membres n’affecte pas les réponses à apporter aux questions posées par la juridiction de renvoi.

Sur les dépens

116 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1) Une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, sans prévoir de période transitoire, quintuple le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux et institue, de surcroît, une taxe proportionnelle grevant cette même activité constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE pour autant qu’elle soit de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services d’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

2) Une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui, sans prévoir ni période transitoire ni indemnisation des exploitants de salles de jeu, interdit l’exploitation des machines à sous hors des casinos constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE.

3) Les restrictions à la libre prestation des services qui sont susceptibles de découler de législations nationales telles que celles en cause au principal ne peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général que pour autant que la juridiction nationale conclue, au terme d’une appréciation globale des circonstances entourant l’adoption et la mise en œuvre de ces législations:
– qu’elles poursuivent d’abord effectivement des objectifs relatifs à la protection des consommateurs contre la dépendance au jeu et à la lutte contre les activités criminelles et frauduleuses liées au jeu, la seule circonstance qu’une restriction aux activités de jeux de hasard bénéficie accessoirement, au moyen d’une augmentation des recettes fiscales, au budget de l’État membre concerné ne faisant pas obstacle à ce que cette restriction puisse être regardée comme poursuivant d’abord effectivement de tels objectifs;
– qu’elles poursuivent ces mêmes objectifs de manière cohérente et systématique, et
– qu’elles satisfont aux exigences découlant des principes généraux de droit de l’Union, en particulier des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ainsi que du droit de propriété.

4) L’article 1er, point 11, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 2006/96/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, doit être interprété en ce sens que:
– les dispositions d’une législation nationale qui quintuplent le montant d’une taxe forfaitaire grevant l’exploitation des machines à sous dans les salles de jeux et institue, de surcroît, une taxe proportionnelle grevant cette même activité ne constituent pas des «règles techniques» au sens de cette disposition, et que
– les dispositions d’une législation nationale qui interdisent l’exploitation des machines à sous hors des casinos constituent des «règles techniques» au sens de ladite disposition, dont les projets doivent faire l’objet de la communication prévue à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive.

5) L’article 56 TFUE a pour objet de conférer des droits aux particuliers, de telle manière que sa violation par un État membre, y compris du fait de l’activité législative de celui-ci, entraîne un droit pour les particuliers d’obtenir de la part de cet État membre la réparation du préjudice subi en raison de cette violation, pour autant que ladite violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette même violation et le préjudice subi, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

6) Les articles 8 et 9 de la directive 98/34, telle que modifiée par la directive 2006/96, n’ont pas pour objet de conférer des droits aux particuliers, de telle sorte que leur violation par un État membre n’entraîne pas un droit pour les particuliers d’obtenir de la part de cet État membre la réparation du préjudice subi du fait de cette violation sur le fondement du droit de l’Union.

7) Le fait que des législations nationales, telles que celles en cause au principal, concernent un domaine relevant de la compétence des États membres n’affecte pas les réponses à apporter aux questions posées par la juridiction de renvoi.

Matthieu ESCANDE

Avocat à la Cour - Attorney at Law
Docteur en Droit - Ph.D in Law