Droit des Jeux d'argent et de hasard: Arrêt Ömer CJUE 15 septembre 2011 C‑347/09

15.9.11

Arrêt Ömer CJUE 15 septembre 2011 C‑347/09

CJUE
La CJUE tempère les conclusions déposées par l'avocat général Yves Bot en maintenant qu'un monopole étatique en matière de jeux de hasard peut survivre malgré le Traité CE. Il s'agit d'un arrêt remarquable qui confirme désormais la position de la Cour de Justice à l'égard du secteur des jeux et paris en ligne.



ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
15 septembre 2011

«Libre prestation des services – Liberté d’établissement – Réglementation nationale prévoyant un monopole d’exploitation pour les jeux de casino sur Internet – Conditions d’admissibilité – Politique commerciale expansionniste – Contrôles des opérateurs de jeux de hasard effectués dans d’autres États membres – Attribution du monopole à une société de droit privé – Possibilité d’obtenir le monopole réservée aux seules sociétés de capitaux ayant leur siège social sur le territoire national – Interdiction pour le titulaire du monopole de créer une succursale en dehors de l’État membre d’établissement» 

Dans l’affaire C‑347/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bezirksgericht Linz (Autriche), par décision du 10 avril 2009, parvenue à la Cour le 31 août 2009, dans la procédure pénale contre
Jochen Dickinger,

Franz Ömer,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), L. Bay Larsen, Mme A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 janvier 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour MM. Dickinger et Ömer, par Mes W. Denkmair et O. Plöckinger, Rechtsanwälte,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer et M. J. Bauer, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et M. Jacobs, en qualité d’agents, assistées de Mes A. Hubert et P. Vlaemminck, avocats,

–        pour le gouvernement grec, par Mmes E.-M. Mamouna, M. Tassopoulou et G. Papadaki, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement maltais, par Mme A. Buhagiar et M. J. Borg, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes et Mme A. Barros, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. E. Traversa et B.‑R. Killmann, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 43 CE et 49 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de poursuites pénales engagées contre MM. Dickinger et Ömer pour non-respect, par la société de droit autrichien bet-at-home.com Entertainment GmbH (ci‑après «bet-at-home.com Entertainment»), dont ils sont les gérants, de la législation autrichienne concernant l’exploitation des jeux de hasard, plus précisément en ce qui concerne l’offre de jeux de casino par Internet.

 Le cadre juridique

3        La loi fédérale sur les jeux de hasard (Glücksspielgesetz, BGBl. 620/1989), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le «GSpG»), énonce à son article 3, intitulé «Monopole de jeux de hasard», que le droit d’organiser des jeux de hasard est réservé à l’État fédéral. Les articles 14 et 21 du GSpG prévoient en parallèle que le ministre fédéral des Finances peut octroyer des concessions pour, d’une part, l’organisation de loteries et, d’autre part, l’exploitation de casinos. Les paris sportifs, n’étant pas considérés comme des jeux de hasard au sens strict, ne sont pas soumis, à l’exception d’un type de pari mutuel dénommé «Toto», au régime établi par le GSpG.

4        Les jeux de casino commercialisés par Internet sont, en vertu de l’article 12 bis du GSpG, assimilés à des loteries et sont, par conséquent, soumis au régime de concession concernant les loteries plutôt qu’à celui régissant les casinos. Cet article 12 bis, introduit dans le GSpG en 1997 (BGBl. I, 69/1997), contient à cet égard la définition suivante des termes «loteries électroniques»:

«loteries pour lesquelles le contrat de jeu est conclu par des moyens électroniques, la décision sur les gains et les pertes étant apportée ou mise à disposition de manière centrale et le participant pouvant prendre connaissance du résultat immédiatement après la participation au jeu».

5        Une concession pour l’organisation de loteries ne peut être octroyée, en vertu de l’article 14, paragraphe 2, du GSpG, qu’à un opérateur qui:

«1.      est une société de capitaux établie dans le pays,

2.      n’a pas de propriétaires (sociétaires) qui disposent d’une influence dominante et dont l’influence ne permet pas de garantir la fiabilité du point de vue réglementaire,

3.      dispose d’un conseil de surveillance et d’un capital social ou nominal libéré d’au moins 109 millions d’euros, la provenance légale des fonds devant être démontrée de manière adéquate,

4.      nomme des directeurs qui, du fait de leur formation, sont professionnellement compétents, disposent des caractéristiques et de l’expérience nécessaires pour l’exploitation correcte de l’activité et contre lesquels il n’y a aucun motif d’exclusion au titre de l’article 13 du code des professions artisanales, commerciales et industrielles de 1973 (Gewerbeordnung 1973) […]

5.      compte tenu des circonstances (en particulier les expériences, les connaissances et les moyens propres) permet de s’attendre à ce qu’il réalise pour le gouvernement fédéral les meilleures recettes (taxe de concession et prélèvements sur les paris),

6.      pour lequel la structure éventuelle du groupe auquel le ou les propriétaires ayant une participation qualifiée dans l’entreprise appartiennent ne gêne pas un contrôle efficace du concessionnaire.»

6        Une concession peut, en application de l’article 14, paragraphe 3, point 1, du GSpG, être accordée pour une durée maximale de quinze ans.

7        Tant qu’une concession de loterie est en vigueur, l’article 14, paragraphe 5, première phrase, du GSpG prévoit qu’aucune autre concession ne saurait être attribuée.

8        Si plusieurs candidats remplissant les conditions énoncées à l’article 14, paragraphe 2, du GSpG sollicitent l’obtention d’une concession, le ministre fédéral des Finances est, en vertu du paragraphe 5, seconde phrase, du même article, tenu de prendre sa décision sur la base du critère édicté au point 5 dudit paragraphe 2, et donc d’attribuer la concession à l’opérateur dont il peut être escompté la réalisation des meilleures recettes pour le gouvernement fédéral.

9        En vertu de l’article 15, paragraphe 1, du GSpG, le concessionnaire n’a pas le droit de créer une succursale en dehors du territoire autrichien. En outre, l’acquisition pour le concessionnaire de participations qualifiées dans d’autres sociétés requiert une autorisation du ministre fédéral des Finances. En vertu de l’article 15 bis du GSpG, une telle autorisation est également requise pour une extension de l’activité commerciale du concessionnaire, laquelle ne doit être accordée que si aucune baisse des recettes du gouvernement fédéral provenant de la taxe de concession ou des prélèvements sur les paris n’est à craindre.

10      L’article 16 du GSpG oblige le concessionnaire à établir les conditions de jeu pour les jeux de hasard dont l’organisation lui a été confiée. Ces conditions, qui doivent être approuvées par le ministre fédéral des Finances, sont publiées dans l’Amtsblatt zur Wiener Zeitung et affichées, pour consultation, dans les locaux commerciaux du concessionnaire et dans ses points de vente.

11      Le concessionnaire doit, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, du GSpG, communiquer chaque année au ministre fédéral des Finances l’identité des personnes participant au capital social de l’entreprise. Par ailleurs, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du GSpG, il est soumis à une surveillance du ministre fédéral des Finances. Ce dernier est, à cette fin, habilité notamment à consulter les comptes ainsi que d’autres documents du concessionnaire et il peut procéder à des vérifications sur les lieux ou demander à des comptables ou à d’autres experts de procéder à des vérifications. Les coûts de la surveillance sont à la charge du concessionnaire et lui sont facturés annuellement par le ministre fédéral des Finances.

12      L’article 19, paragraphe 2, du GSpG prévoit en outre la nomination, par le ministre fédéral des Finances, d’un commissaire d’État («Staatskommissär») qui, en vertu de l’article 26 de la loi relative au crédit (Kreditwesengesetz, BGBl. 63/1979), a le droit d’assister aux assemblées des actionnaires ainsi qu’aux réunions du conseil de surveillance du concessionnaire. Le commissaire d’État doit être soit un employé d’une collectivité territoriale, soit un avocat ou un commissaire aux comptes, et il est soumis à l’autorité du ministre fédéral des Finances et peut être démis de ses fonctions à tout moment. Le commissaire d’État a notamment pour tâche de s’opposer à toute décision des organes de la société qu’il considère comme illégale. Une telle opposition a pour conséquence de suspendre les effets de la décision en cause jusqu’à l’intervention d’une décision des autorités compétentes.

13      En vertu de l’article 19, paragraphe 3, du GSpG, le ministre fédéral des Finances et l’organisation sportive fédérale ont chacun le droit de proposer un membre faisant partie du conseil de surveillance du concessionnaire.

14      L’article 19, paragraphe 4, du GSpG oblige le concessionnaire à communiquer au ministre fédéral des Finances le bilan annuel, le rapport de gestion et le bilan consolidé du groupe, ainsi que les rapports des commissaires aux comptes concernant lesdits documents dans un délai de six mois suivant la fin de l’exercice financier concerné.

15      Les articles 17 et 20 du GSpG concernent l’affectation des revenus des jeux de hasard. L’article 17, paragraphe 3, point 6, fixe la taxe de concession pour les loteries électroniques à 24 % des revenus bruts annuels après déduction des gains distribués. En vertu de l’article 20, 3 % des revenus des loteries, montant qui ne doit en aucun cas être inférieur à 40 millions d’euros, sont affectés au développement du sport.

16      Les articles 21 à 31 du GSpG contiennent des dispositions similaires réglementant l’octroi de douze concessions pour l’exploitation de casinos, la surveillance des concessionnaires ainsi que le déroulement des jeux de casino.

17      L’organisation de jeux de hasard à des fins lucratives par une personne non titulaire d’une concession est passible de poursuites pénales en Autriche. Est punissable, aux termes de l’article 168, paragraphe 1, du code pénal autrichien (Strafgesetzbuch, ci-après le «StGB»), «quiconque organise un jeu formellement prohibé ou dont l’issue favorable ou défavorable dépend exclusivement ou principalement du hasard ou quiconque favorise une réunion en vue de l’organisation d’un tel jeu afin de tirer un avantage pécuniaire de cette organisation ou de cette réunion ou de procurer un tel avantage à un tiers». Les sanctions prévues sont une peine de prison pouvant aller jusqu’à six mois ou jusqu’à 360 jours-amende.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

18      L’Österreichische Lotterien GmbH (ci-après l’«Österreichische Lotterien») est une société de droit privé à responsabilité limitée. En vertu d’une décision du ministre fédéral des Finances du 16 mars 1995, elle a obtenu la concession unique pour l’organisation des loteries en Autriche pour la période allant du 1er décembre 1994 au 31 décembre 2004. Après l’institution des «loteries électroniques» par l’introduction, en 1997, de l’article 12 bis dans le GSpG, la concession de ladite société a été étendue à ce type de loteries et prolongée jusqu’en 2012 par une décision du ministre fédéral des Finances du 2 octobre 1997. La durée de la concession a été fixée, eu égard à la durée maximale de quinze ans autorisée par la loi, pour la période allant du 1er octobre 1997 au 30 septembre 2012.

19      L’actionnaire majoritaire de l’Österreichische Lotterien est Casinos Austria AG (ci-après «Casinos Austria»), une société anonyme de droit privé qui détient les douze concessions d’exploitation de casinos prévues par le GSpG (voir, à cet égard, arrêt du 9 septembre 2010, Engelmann, C‑64/08, non encore publié au Recueil, points 13 à 15). À la date des faits au principal, un tiers des actions constituant le capital social de Casinos Austria était détenu indirectement par l’État, le reste des actions se trouvant entre les mains d’investisseurs privés.

20      MM. Dickinger et Ömer, ressortissants autrichiens, sont les fondateurs du groupe multinational de jeux en ligne bet-at-home.com. La société mère de ce groupe est la société de droit allemand bet-at-home.com AG ayant son siège à Düsseldorf (Allemagne).

21      La société de droit autrichien bet-at-home.com Entertainment, ayant son siège à Linz (Autriche), active dans le domaine des «services de traitement automatique des données et techniques de l’information», est l’une des filiales de bet-at-home.com AG. MM. Dickinger et Ömer sont les gérants de bet-at-home.com Entertainment. Cette société dispose d’une licence autrichienne lui permettant de proposer des paris sportifs.

22      Bet-at-home.com Entertainment détient, en tant que filiale, la société de droit maltais bet-at-home.com Holding Ltd qui, à son tour, détient trois filiales, à savoir les sociétés de droit maltais bet-at-home.com Internet Ltd, bet-at-home.com Entertainment Ltd ainsi que bet-at-home.com Internationale Ltd (ci-après, ensemble, les «filiales maltaises»).

23      Deux des filiales maltaises proposent des jeux de hasard et des paris sportifs par Internet sur le site www.bet-at-home.com. Elles disposent, à cet égard, d’une licence maltaise («Class One Remote Gaming License») valable pour les jeux de hasard en ligne et d’une licence maltaise («Class Two Remote Gaming License») valable pour les paris sportifs en ligne. Le site Internet est accessible en espagnol, en allemand, en grec, en anglais, en italien, en hongrois, en néerlandais, en polonais, en slovène, en russe et en turc, mais il ne l’est pas en maltais. Sur ce site sont proposés notamment des jeux de casino, tels que le poker, le black-jack, le baccara, la roulette ainsi que des jeux sur des machines à sous virtuelles. Il est possible de jouer à tous ces jeux sans limites de mises.

24      L’exploitation du site Internet www.bet-at-home.com est assurée exclusivement par les filiales maltaises qui organisent les jeux en question et qui sont propriétaires des licences pour les logiciels nécessaires à l’exploitation de la plateforme de jeu.

25      Les filiales maltaises se servaient, à tout le moins jusqu’au mois de décembre 2007, d’un serveur installé à Linz, mis à leur disposition par bet‑at‑home.com Entertainment, laquelle assurait également l’entretien du site Internet, du logiciel nécessaire pour les jeux ainsi que le soutien aux utilisateurs.

26      Une procédure pénale a été engagée contre MM. Dickinger et Ömer, en leur qualité de gérants de bet‑at‑home.com Entertainment, en raison d’agissements constituant une violation de l’article 168, paragraphe 1, du StGB. L’acte introductif d’instance est libellé dans les termes suivants:

«MM. […] Dickinger et […] Ömer, en tant que responsables de [bet‑at‑home.com Entertainment], ont commis, du 1er janvier 2006 jusqu’à ce jour, l’infraction consistant à organiser des jeux de hasard au titre de l’article 168, paragraphe 1, du [StGB] au profit de [bet-at-home.com Entertainment] en offrant par Internet des jeux pour lesquels les gains et les pertes dépendent exclusivement ou principalement du hasard ou qui sont expressément interdits, notamment différentes sortes de poker (‘Texas Hold’em’, ‘Seven Card Stud’, etc.), le black-jack, le baccara, les jeux de table comme la roulette ainsi que des ‘bandits manchots’ virtuels avec des mises de jeux dont les montants sont illimités, et ce pour se procurer ou pour procurer à autrui, en particulier [bet-at-home.com Entertainment], un avantage financier.»

27      MM. Dickinger et Ömer ont soulevé l’illégalité de la réglementation nationale applicable aux jeux de hasard au regard des articles 43 CE et 49 CE.

28      La juridiction de renvoi doute que les dispositions du StGB, lues en combinaison avec les règles autrichiennes applicables aux jeux de hasard en cause au principal, soient compatibles avec le droit de l’Union, en particulier au regard de ce qu’elle qualifie de «publicité offensive» faite par Casinos Austria pour son offre de jeux de hasard.

29      Dans ces conditions, le Bezirksgericht Linz a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      a)     Les articles 43 CE et 49 CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font, par principe, obstacle à une réglementation nationale comme celle de l’article 3 en combinaison avec les articles 14 et suivants et l’article 21 du [GSpG], en vertu de laquelle:

–        une concession pour des loteries (par exemple des loteries électroniques) ne peut être accordée pour une durée maximale de quinze ans qu’à un unique concessionnaire qui doit, entre autres, être une société de capitaux ayant son siège en Autriche, ne peut pas créer de succursales en dehors de l’Autriche, doit disposer d’un capital social ou nominal libéré d’au moins 109 000 000 euros et qui permet de s’attendre, compte tenu des circonstances, à ce qu’elle réalise les meilleures recettes pour le gouvernement fédéral;

–        une concession pour des casinos ne peut être accordée pour une durée maximale de quinze ans qu’à un maximum de douze concessionnaires, qui doivent être des sociétés anonymes ayant leur siège en Autriche, ne peuvent pas créer de succursales en dehors de l’Autriche, doivent disposer d’un capital social libéré de 22 000 000 euros et qui permettent de s’attendre, compte tenu des circonstances, à ce qu’ils réalisent les meilleures recettes pour les collectivités locales?

Ces questions se posent en particulier dans le contexte suivant: la société [Casinos Austria] est titulaire de l’ensemble des douze concessions de casinos qui ont été attribuées le 18 décembre 1991 pour une durée maximale de quinze ans et qui ont été prolongées entre‑temps sans appel d’offres ou communication publique.

b)      Si oui, une telle réglementation peut-elle être justifiée par des motifs d’intérêt général de restriction des activités liées aux paris lorsque les titulaires de concessions opérant dans une structure quasi monopolistique exercent de leur côté une politique expansionniste dans le domaine des jeux de hasard grâce à des activités publicitaires intensives?

c)      Si oui, la juridiction de renvoi doit-elle, lors du contrôle de la proportionnalité d’une telle réglementation qui poursuit l’objectif de prévenir les actes délictuels en soumettant les opérateurs économiques agissant dans ce domaine à un contrôle et en canalisant ainsi les activités de jeux de hasard soumises à ce contrôle, tenir compte du fait que cette réglementation touche aussi les prestataires de services transfrontaliers qui sont de toute façon soumis dans l’État membre de leur établissement à des obligations et à des contrôles stricts liés à leur concession?

2)      Les libertés fondamentales du traité CE, en particulier la libre prestation des services au titre de l’article 49 CE, doivent-elles être interprétées en ce sens que, nonobstant le fait que la réglementation de l’ordre juridique pénal demeure par principe de la compétence des États membres, une disposition pénale nationale doit tout de même être mesurée à l’aune du droit communautaire si elle est susceptible d’empêcher ou de gêner l’exercice de l’une des libertés fondamentales?

3)      a)     Les dispositions combinées de l’article 49 CE et de l’article 10 CE doivent-elles être interprétées en ce sens que les contrôles effectués dans l’État d’établissement d’un prestataire de services et les garanties qui y sont apportées doivent être pris en compte dans l’État où le service est fourni en vertu du principe de la confiance réciproque?

b)      Si oui, l’article 49 CE doit-il de plus être interprété en ce sens que, en cas de restriction à la libre prestation des services exercée pour des motifs d’intérêt général, il faut vérifier si cet intérêt général n’a pas été déjà suffisamment pris en compte par les dispositions, contrôles et vérifications auxquels le prestataire de services est soumis dans l’État dans lequel il est établi?

c)      Si oui, faut-il, lors du contrôle de la proportionnalité d’une disposition nationale qui menace de sanctions pénales l’offre transfrontalière de services de jeux de hasard sans licence nationale, tenir compte du fait que les intérêts réglementaires invoqués par l’État de la prestation de services pour justifier la restriction à la liberté fondamentale sont déjà suffisamment pris en compte dans l’État de l’établissement par une procédure stricte d’autorisation et de surveillance?

d)      Si oui, la juridiction de renvoi doit-elle, dans le cadre de l’examen de la proportionnalité d’une telle restriction, tenir compte du fait que les dispositions en cause dans l’État dans lequel le prestataire de services est établi vont, dans leur intensité, au-delà même de celles de l’État de la prestation des services?

e)      En cas d’interdiction sanctionnée pénalement des jeux de hasard imposée pour des motifs politiques de protection des joueurs et de lutte contre la criminalité, le principe de proportionnalité exige-t-il en outre que la juridiction de renvoi procède à une distinction entre, d’une part, les fournisseurs qui offrent des jeux de hasard sans la moindre autorisation et, d’autre part, ceux qui sont établis dans d’autres États membres de l’[Union] et y disposent d’une concession et qui exercent leurs activités en invoquant la libre prestation des services?

f)      Lors de l’examen de la proportionnalité d’une disposition nationale qui interdit, sous peine de sanctions pénales, l’offre transfrontalière de services de jeux de hasard sans concession ou autorisation nationale, faut-il enfin tenir compte du fait qu’un fournisseur de jeux de hasard a valablement obtenu une licence dans un autre État membre, mais, en raison de barrières à l’entrée objectives et indirectement discriminatoires, n’a pas pu obtenir une licence nationale et du fait que la procédure d’octroi de licence et de contrôle offre dans l’État de l’établissement un niveau de protection au moins comparable à celui assuré au niveau national?

4)      a)     L’article 49 CE doit-il être interprété en ce sens que le caractère temporaire de la prestation de services exclurait pour le prestataire la possibilité de mettre en place dans l’État membre d’accueil une certaine infrastructure (comme un serveur) sans le considérer comme établi dans cet État membre?

b)      L’article 49 CE doit-il en outre être interprété en ce sens qu’une disposition visant les fournisseurs nationaux de services de soutien et leur interdisant de faciliter à un prestataire qui a son siège dans un autre État membre sa prestation de services représente aussi une restriction à la libre prestation des services de ce prestataire lorsque les fournisseurs de services de soutien sont établis dans le même État membre qu’une partie des destinataires du service?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la deuxième question

30      Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une réglementation d’un État membre instaurant des sanctions pénales à l’encontre des contrevenants à un monopole d’exploitation de jeux de hasard, tel que celui prévu par la réglementation nationale en cause au principal, doit être conforme aux libertés fondamentales garanties par le traité et, en particulier, à l’article 49 CE.

31      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 45 à 50 de ses conclusions, il ressort à cet égard d’une jurisprudence constante de la Cour que le droit de l’Union impose des limites à la compétence des États membres en matière pénale, une législation dans ce domaine ne pouvant, notamment, restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 2 février 1989, Cowan, 186/87, Rec. p. 195, point 19, et du 19 janvier 1999, Calfa, C‑348/96, Rec. p. I‑11, point 17).

32      Il convient, par conséquent, de répondre à la deuxième question que le droit de l’Union, et en particulier l’article 49 CE, s’oppose à ce que soit sanctionnée pénalement la violation d’un monopole d’exploitation de jeux de hasard, tel que le monopole d’exploitation des jeux de casino commercialisés par Internet prévu par la réglementation nationale en cause au principal, si une telle réglementation n’est pas conforme aux dispositions de ce droit.

 Sur la quatrième question

33      Par sa quatrième question, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu, la juridiction de renvoi cherche à déterminer quelles libertés fondamentales sont applicables aux restrictions imposées par la législation nationale en cause au principal aux filiales maltaises. Elle demande, en substance, si l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il est applicable aux services de jeux de hasard commercialisés par Internet sur le territoire d’un État membre d’accueil par un opérateur établi dans un autre État membre nonobstant le fait que cet opérateur:

–        a mis en place dans l’État membre d’accueil une certaine infrastructure de support informatique telle qu’un serveur, ce qui pourrait entraîner l’application des dispositions concernant la liberté d’établissement, et

–        se prévaut de services de soutien d’un prestataire établi dans l’État membre d’accueil afin de fournir ses services à des consommateurs dans ce même État membre, ce qui pourrait avoir pour conséquence l’inapplicabilité de l’article 49 CE.

34      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 57 à 62 de ses conclusions, le seul fait, pour un prestataire de jeux de hasard commercialisés par Internet, de recourir à des moyens matériels de communication fournis par une entreprise tierce établie dans l’État membre d’accueil n’est pas, en soi, de nature à démontrer que ce prestataire dispose, dans cet État, d’un établissement stable comparable à une agence, ce qui aurait pour conséquence l’application des dispositions du traité concernant la liberté d’établissement.

35      Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour que, afin de donner lieu à un établissement au sens du traité, une relation commerciale conclue par un opérateur établi dans un État membre avec des opérateurs ou des intermédiaires établis dans l’État membre d’accueil doit impliquer la possibilité pour cet opérateur de participer, de façon stable et continue, à la vie économique dans cet État membre d’accueil et, ainsi, être telle qu’elle permette aux clients de bénéficier des services proposés au moyen d’une présence permanente dans cet État membre d’accueil, qui peut s’exercer par le moyen d’un simple bureau géré, le cas échéant, par une personne indépendante, mais mandatée pour agir en permanence pour ledit opérateur comme le ferait une agence (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2010, Stoß e.a., C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, non encore publié au Recueil, points 59 et 60).

36      Or, il est constant que, loin d’être mandatée pour agir en permanence pour les filiales maltaises sur le marché des jeux de hasard en Autriche, bet-at-home.com Entertainment n’intervient pas dans la relation entre ces filiales et leurs clients. L’exploitation de la plateforme Internet www.bet-at-home.com est assurée exclusivement par les filiales maltaises, qui sont responsables de l’organisation des jeux et avec lesquelles les clients concluent les contrats correspondants. Dans ces conditions, les services de support informatique fournis par bet‑at‑home.com Entertainment pourraient être confiés à un autre opérateur, établi dans un autre État membre, sans même que les consommateurs autrichiens s’en rendent compte.

37      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’article 49 CE s’applique à un opérateur de jeux de hasard établi dans un État membre qui propose ses services dans un autre État membre même s’il se sert à cette fin d’intermédiaires établis dans le même État membre que les destinataires desdits services (arrêt du 6 novembre 2003, Gambelli e.a., C‑243/01, Rec. p. I‑13031, point 58). A fortiori ce même article trouve‑t‑il à s’appliquer lorsque l’opérateur de jeux de hasard se sert non pas d’intermédiaires, mais d’un simple prestataire de services de support informatique dans l’État membre d’accueil.

38      Il convient par conséquent de répondre à la quatrième question que l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il est applicable aux services de jeux de hasard commercialisés par Internet sur le territoire d’un État membre d’accueil par un opérateur établi dans un autre État membre nonobstant le fait que cet opérateur:

–        a mis en place dans l’État membre d’accueil une certaine infrastructure de support informatique telle qu’un serveur, et

–        se prévaut de services de soutien informatique d’un prestataire établi dans l’État membre d’accueil afin de fournir ses services à des consommateurs qui sont également établis dans cet État membre.

 Sur les première et troisième questions

39      Les première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, portent sur les conditions dans lesquelles l’article 49 CE permet l’institution d’un monopole pour l’organisation des jeux de casino commercialisés par Internet en faveur d’un opérateur unique, tel que celui en cause dans l’affaire au principal.

40      Afin de répondre utilement à ces questions, il convient, en premier lieu, de rappeler les conditions dans lesquelles l’article 49 CE permet l’institution d’un monopole en matière de jeux de hasard, tel que celui en cause au principal. En deuxième lieu, il est nécessaire de vérifier dans quelle mesure la poursuite d’une politique commerciale expansionniste par l’entité dotée d’un monopole en matière de jeux de hasard peut être cohérente avec les objectifs poursuivis par le régime de monopole. En troisième lieu, il importe de donner des indications à la juridiction de renvoi en ce qui concerne la compatibilité avec l’article 49 CE d’une série de restrictions spécifiques imposées au titulaire du monopole par la réglementation nationale, concernant sa forme juridique, le montant de son capital social, la localisation de son siège et la possibilité d’établir des succursales dans d’autres États membres. En dernier lieu, il convient d’examiner la pertinence des contrôles des opérateurs de jeux de hasard effectués dans d’autres États membres et des garanties qui y sont apportées pour l’examen de la proportionnalité de mesures restrictives imposées par un État membre cherchant à réglementer les jeux de hasard dans la poursuite d’un ou de plusieurs objectifs reconnus par la jurisprudence de la Cour.

41      Il est constant qu’une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui soumet l’organisation et la promotion des jeux de hasard à un régime d’exclusivité en faveur d’un seul opérateur et qui interdit à tout autre opérateur, y compris à un opérateur établi dans un autre État membre, de proposer, par Internet, sur le territoire du premier État membre, des services relevant dudit régime constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2010, Sporting Exchange, C-203/08, non encore publié au Recueil, points 22 et 24 ainsi que jurisprudence citée).

42      Toutefois, une telle restriction à la libre prestation des services peut être admise à titre de mesure dérogatoire expressément prévue aux articles 45 CE et 46 CE, applicables en la matière en vertu de l’article 55 CE, ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général (arrêts du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, Rec. p. I‑7633, points 55 et 56, ainsi que du 30 juin 2011, Zeturf, C‑212/08, non encore publié au Recueil, point 37).

43      Il convient de souligner d’emblée dans le contexte de l’affaire au principal que, lorsqu’un régime de monopole a été mis en place dans un État membre en matière de jeux de hasard et que ce régime est incompatible avec l’article 49 CE, la violation de celui-ci par un opérateur économique ne peut faire l’objet de sanctions pénales (arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a., C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, Rec. p. I‑1891, points 63 et 69).

 Sur les conditions de l’institution d’un monopole en matière de jeux de hasard

44      S’agissant des justifications susceptibles d’être admises, la Cour a constaté que les objectifs poursuivis par les législations nationales adoptées dans le domaine des jeux de hasard et des paris, considérés dans leur ensemble, se rattachent, le plus souvent, à la protection des destinataires des services concernés et, plus généralement, des consommateurs ainsi qu’à la protection de l’ordre social. Elle a également souligné que de tels objectifs figurent au nombre des raisons impérieuses d’intérêt général pouvant justifier des atteintes à la libre prestation des services (arrêt Stoß e.a., précité, point 74 et jurisprudence citée).

45      La Cour a, par ailleurs, itérativement jugé que les particularités d’ordre moral, religieux ou culturel ainsi que les conséquences moralement et financièrement préjudiciables pour l’individu et la société qui entourent les jeux de hasard et les paris peuvent être de nature à justifier l’existence, au profit des autorités nationales, d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer, selon leur propre échelle de valeurs, les exigences que comporte la protection du consommateur et de l’ordre social (arrêt Stoß e.a., précité, point 76 et jurisprudence citée).

46      La seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière. Celles‑ci doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités compétentes de l’État membre concerné et du niveau de protection qu’elles entendent assurer (arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 58).

47      Par conséquent, les États membres sont, en principe, libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard et, le cas échéant, de définir avec précision le niveau de protection recherché (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 59).

48      Un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé peut, par conséquent, ainsi que la Cour l’a admis dans sa jurisprudence, être fondé à considérer que seul l’octroi de droits exclusifs à un organisme unique soumis à un contrôle étroit de la part des pouvoirs publics est de nature à leur permettre de maîtriser les risques liés au secteur des jeux de hasard et de poursuivre l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux et de lutte contre l’assuétude au jeu d’une façon suffisamment efficace (voir, en ce sens, arrêts précités Stoß e.a., points 81 et 83, ainsi que Zeturf, point 41).

49      Il est en effet loisible aux autorités publiques d’un État membre de considérer que le fait que, en leur qualité de contrôleur de l’organisme investi du monopole, elles disposeront de moyens additionnels leur permettant d’influer sur la conduite de celui-ci en dehors des mécanismes régulateurs et de surveillance légaux est susceptible de leur assurer une meilleure maîtrise de l’offre de jeux de hasard et de meilleures garanties d’efficacité dans la mise en œuvre de leur politique qu’en cas d’exercice de ces activités par des opérateurs privés en situation de concurrence, ces derniers fussent-ils assujettis à un système d’autorisation et soumis à un régime de contrôle et de sanctions (arrêt Stoß e.a., précité, point 82).

50      Il demeure, néanmoins, que les restrictions imposées par les États membres doivent satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité, ce qu’il incombe aux juridictions nationales de vérifier (arrêts précités Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, points 59 et 60, ainsi que Stoß e.a., points 77 et 78).

51      Il doit être souligné que la question de savoir quels objectifs sont effectivement poursuivis par la législation nationale relève, dans le cadre d’une affaire dont est saisie la Cour au titre de l’article 267 TFUE, de la compétence de la juridiction de renvoi.

52      Selon le gouvernement autrichien, la réglementation en cause au principal poursuit, d’une part, un objectif de lutte contre la criminalité, en particulier par la protection des consommateurs de jeux de hasard contre la fraude et d’autres délits ainsi que, d’autre part, un objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux par la mise en œuvre de mesures adéquates de protection des joueurs, telles que, notamment, la fixation contraignante de limites de mises personnelles, et participe donc à la protection de l’ordre social en général.

53      MM. Dickinger et Ömer ainsi que le gouvernement maltais font valoir, en revanche, qu’il découle du libellé exprès du GSpG que son objectif principal est d’augmenter les recettes fiscales générées par les jeux de hasard. Ils relèvent spécifiquement que, en vertu de l’article 14, paragraphe 5, du GSpG, la concession est attribuée systématiquement à l’opérateur dont il peut être escompté la réalisation des meilleures recettes pour le gouvernement fédéral. En outre, toute extension territoriale ou matérielle de l’activité commerciale du concessionnaire présuppose une autorisation du ministre fédéral des Finances, laquelle ne doit être accordée que si aucune baisse des recettes du gouvernement fédéral n’est à craindre.

54      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que les autorités nationales visaient véritablement, à la date des faits au principal, à assurer un niveau de protection particulièrement élevé au regard des objectifs invoqués et que, à la lumière de ce niveau de protection recherché, l’institution d’un monopole pouvait effectivement être considérée comme nécessaire (arrêt Zeturf, précité, point 47). Dans ce contexte, c’est à l’État membre cherchant à se prévaloir d’un objectif propre à légitimer l’entrave à la liberté de prestation des services qu’il incombe de fournir à la juridiction appelée à se prononcer sur cette question tous les éléments de nature à permettre à celle‑ci de s’assurer que ladite mesure satisfait bien aux exigences découlant du principe de proportionnalité (arrêt Stoß e.a., précité, point 71).

55      À cet égard, le seul objectif de maximiser les recettes du Trésor public ne saurait permettre une telle restriction à la libre prestation des services.

56      Il y a lieu, en particulier, de rappeler, dans ce contexte, qu’une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique. Il incombe par conséquent à la juridiction de renvoi de s’assurer, notamment au vu des modalités concrètes d’application de la réglementation restrictive concernée, que celle-ci répond véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt Stoß e.a., précité, points 88, 97 et 98).

57      La juridiction de renvoi devra par conséquent vérifier, à la lumière notamment de l’évolution du marché des jeux de hasard en Autriche, que les contrôles étatiques auxquels les activités du titulaire du monopole sont soumises sont propres à garantir que celui-ci sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, les objectifs invoqués au moyen d’une offre quantitativement mesurée et qualitativement aménagée en fonction desdits objectifs (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 2010, Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, C‑258/08, non encore publié au Recueil, point 37, ainsi que Stoß e.a., précité, point 83).

58      Par ailleurs, la politique commerciale poursuivie par le titulaire du monopole est d’une pertinence certaine pour l’appréciation de la manière dont lesdits objectifs sont poursuivis.

 Sur la poursuite d’une politique commerciale expansionniste par l’entité dotée d’un monopole en matière de jeux de hasard

59      La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la question de savoir si le monopole mis en place par la réglementation nationale en cause au principal peut être considéré comme propre à garantir la réalisation de l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci en raison de la politique commerciale expansionniste menée par le titulaire du monopole au moyen d’activités publicitaires intensives.

60      MM. Dickinger et Ömer, ainsi que le gouvernement maltais, soutiennent à cet égard que le système autrichien a permis une expansion constante de l’offre de jeux de hasard ainsi qu’un accroissement continu des dépenses de publicité destinées à des cibles publicitaires toujours nouvelles, avant tout des jeunes, en particulier dans le cadre de la plateforme de jeu sur Internet www.win2day.at lancée par l’Österreichische Lotterien, dont les revenus auraient très largement dépassé ceux de l’ensemble des casinos traditionnels.

61      Il convient de constater, à cet égard, qu’un accroissement des activités commerciales d’un opérateur auquel des droits exclusifs ont été octroyés dans le domaine des jeux de hasard ainsi qu’une augmentation significative des recettes qu’il tire de ceux-ci exigent une attention particulière lors de l’examen du caractère cohérent et systématique de la réglementation en cause et, partant, du caractère approprié de celle-ci pour la poursuite des objectifs reconnus par la jurisprudence de la Cour. Il ressort en effet de cette jurisprudence que le financement d’activités d’utilité publique au moyen de recettes provenant des jeux de hasard ne doit pas constituer l’objectif réel d’une politique restrictive mise en place dans ce secteur, mais peut seulement être considéré comme une conséquence bénéfique accessoire (voir, notamment, arrêts du 24 mars 1994, Schindler, C‑275/92, Rec. p. I‑1039, points 57 et 60; du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C‑124/97, Rec. p. I‑6067, points 32 et 37; du 21 octobre 1999, Zenatti, C‑67/98, Rec. p. I‑7289, points 35 et 36, ainsi que Gambelli e.a., précité, points 61 et 62).

62      Un État membre n’est par conséquent pas fondé à invoquer des raisons d’ordre public tenant à la nécessité de réduire les occasions de jeu dans la mesure où les autorités publiques de cet État incitent et encouragent les consommateurs à participer à des jeux de hasard pour permettre au Trésor public d’en retirer des bénéfices (voir, en ce sens, arrêt Gambelli e.a., précité, point 69).

63      Toutefois, la Cour a également jugé qu’une politique d’expansion contrôlée des activités de jeux de hasard peut être cohérente avec l’objectif visant à canaliser celles-ci dans des circuits contrôlés en attirant des joueurs exerçant des activités de jeux et de paris clandestins interdites vers des activités autorisées et réglementées. Une telle politique peut en effet être tout à la fois cohérente tant avec l’objectif consistant à prévenir l’exploitation des activités de jeux de hasard à des fins criminelles ou frauduleuses qu’avec celui de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées au jeu et de lutte contre l’assuétude à celui-ci, en dirigeant les consommateurs vers l’offre émanant du titulaire du monopole public, offre censée être à la fois dépourvue d’éléments criminels et conçue pour mieux sauvegarder les consommateurs contre des dépenses excessives et l’assuétude au jeu (arrêt Stoß e.a., précité, points 101 et 102).

64      Afin d’atteindre cet objectif de canalisation vers des circuits contrôlés, les opérateurs autorisés doivent constituer une alternative fiable, mais en même temps attrayante, aux activités non réglementées, ce qui peut en soi impliquer l’offre d’une gamme de jeux étendue, une publicité d’une certaine envergure et le recours à de nouvelles techniques de distribution (voir arrêts précités Placanica e.a., point 55, ainsi que Stoß e.a., point 101).

65      Il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier, au vu des circonstances du litige dont elle est saisie, si la politique commerciale du titulaire du monopole peut être considérée, au niveau tant de l’ampleur de la publicité effectuée que de la création par celui‑ci de nouveaux jeux, comme s’inscrivant dans le cadre d’une telle politique d’expansion contrôlée dans le secteur des jeux de hasard, visant effectivement à canaliser l’appétence pour le jeu dans des circuits contrôlés (voir arrêts précités Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, point 37, ainsi que Zeturf, point 69).

66      Dans le cadre de cette appréciation, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier notamment si, d’une part, les activités criminelles et frauduleuses liées aux jeux et, d’autre part, l’assuétude au jeu pouvaient, à la date des faits au principal, constituer un problème en Autriche et si une expansion des activités autorisées et réglementées aurait été de nature à remédier à un tel problème (voir, en ce sens, arrêt Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, précité, point 29).

67      L’objectif de protéger les consommateurs contre l’assuétude au jeu étant, en principe, difficilement compatible avec une politique d’expansion des jeux de hasard, caractérisée notamment par la création de nouveaux jeux et par la publicité faite pour ceux-ci, une telle politique ne saurait être considérée comme cohérente que si les activités illégales présentaient une dimension considérable et si les mesures adoptées visaient à canaliser l’envie de jouer des consommateurs dans des circuits légaux (arrêt Ladbrokes Betting & Gaming et Ladbrokes International, précité, point 30).

68      En tout état de cause, la publicité éventuellement mise en œuvre par le titulaire d’un monopole public doit demeurer mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser ainsi les consommateurs vers les réseaux de jeu contrôlés. Une telle publicité ne saurait, en revanche, viser à encourager la propension naturelle au jeu des consommateurs en stimulant leur participation active à celui-ci, notamment en banalisant le jeu ou en donnant une image positive liée au fait que les recettes récoltées sont affectées à des activités d’intérêt général ou encore en augmentant la force attractive du jeu au moyen de messages publicitaires accrocheurs faisant miroiter d’importants gains (arrêt Stoß e.a., précité, point 103).

69      Il convient en particulier d’opérer une distinction entre les stratégies du bénéficiaire d’un monopole qui ont seulement pour but d’informer les clients potentiels de l’existence de produits et qui servent à garantir un accès régulier aux jeux de hasard en canalisant les joueurs vers les circuits contrôlés et celles qui invitent à une participation active à de tels jeux et stimulent celle-ci. Une distinction doit donc être opérée entre une politique commerciale restreinte, qui cherche seulement à capter ou à fidéliser le marché existant au profit de l’organisme bénéficiant d’un monopole, et une politique commerciale expansionniste, dont l’objectif est l’accroissement du marché global des activités de jeux.

 Sur la compatibilité avec l’article 49 CE des restrictions spécifiques imposées au titulaire du monopole

70      La juridiction de renvoi interroge la Cour sur la compatibilité avec l’article 49 CE d’une série de restrictions spécifiques imposées au titulaire du monopole par la réglementation nationale en cause au principal, concernant sa forme juridique, le montant de son capital social, la localisation de son siège social et la possibilité d’établir des succursales dans des États membres autres que celui dans lequel ce titulaire est établi.

71      À cet égard, il convient de rappeler à titre liminaire, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 97 de ses conclusions, que, dans la mesure où un monopole constitue une mesure singulièrement restrictive, il doit viser à assurer un niveau de protection des consommateurs particulièrement élevé et doit donc s’accompagner de la mise en place d’un cadre normatif propre à garantir que le titulaire de ce monopole sera effectivement à même de poursuivre, de manière cohérente et systématique, les objectifs ainsi fixés au moyen d’une offre quantitativement mesurée et qualitativement aménagée en fonction desdits objectifs et soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques (arrêts précités Stoß e.a., point 83, ainsi que Zeturf, point 58).

72      L’imposition de certaines restrictions au titulaire d’un monopole en matière de jeux de hasard est, par conséquent, en principe, non seulement compatible avec le droit de l’Union, mais exigée par ce dernier. Encore faut-il que ces restrictions soient conformes aux exigences découlant du droit de l’Union quant à leur proportionnalité, en particulier qu’elles soient propres à garantir que les objectifs poursuivis par l’institution d’un régime de monopole seront atteints et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin. Si cette vérification incombe en principe à la juridiction de renvoi, les indications qui suivent peuvent lui être utiles à cet égard.

–       Sur la forme juridique et le montant du capital social du titulaire du monopole

73      Il ressort de l’article 14, paragraphe 2, points 1 et 3, du GSpG que le titulaire du monopole d’exploitation des loteries électroniques doit, d’une part, être une société de capitaux et, d’autre part, disposer d’un capital social nominal ou libéré d’au moins 109 000 000 euros.

74      Selon le gouvernement autrichien, la condition relative à la forme juridique répond à la volonté d’imposer au titulaire du monopole d’avoir une structure d’entreprise transparente afin de prévenir le blanchiment d’argent et la fraude. Il souligne que le droit de l’Union prescrit la même exigence de forme juridique en ce qui concerne le domaine des assurances. S’agissant du montant du capital social, ce gouvernement fait valoir qu’il est proportionné au montant des gains que le titulaire du monopole peut être amené à verser dans le cadre des différents jeux qu’il est autorisé à commercialiser par Internet, ceux‑ci pouvant comprendre un jackpot de plusieurs millions d’euros.

75      MM. Dickinger et Ömer, en revanche, font valoir que le montant du capital social de 109 000 000 euros exigé est disproportionné eu égard au fait que le capital requis pour un institut de crédit serait de seulement 5 000 000 euros en Autriche.

76      Ainsi que l’a jugé la Cour au point 30 de l’arrêt Engelmann, précité, l’exigence d’une forme juridique particulière pour les opérateurs en matière de jeux de hasard peut, en vertu des obligations auxquelles sont tenues certains types de sociétés, notamment en ce qui concerne leur organisation interne, la tenue de leurs comptes, les contrôles dont elles peuvent faire l’objet et les relations avec les tiers, être justifiée par l’objectif de prévenir le blanchiment d’argent et la fraude, lequel est invoqué par le gouvernement autrichien en l’espèce.

77      De même, l’exigence de disposer d’un capital social d’une certaine importance peut s’avérer utile afin d’assurer une certaine capacité financière de la part de l’opérateur et de garantir qu’il est en mesure de répondre aux obligations qu’il pourrait contracter envers les parieurs gagnants. Il convient toutefois de rappeler que le respect du principe de proportionnalité exige, notamment, que la restriction imposée n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché. Il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier, au regard des autres possibilités de garantir que les créances des joueurs gagnants soient honorées par l’opérateur, le caractère proportionné de l’exigence en cause.

–       Sur la localisation du siège du titulaire du monopole

78      L’article 14, paragraphe 2, point 1, du GSpG prévoit que le titulaire du monopole d’exploitation des loteries doit avoir son siège social sur le territoire national.

79      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 120 de ses conclusions, cette exigence constitue une restriction discriminatoire qui ne peut, dès lors, être justifiée que par l’un des motifs énoncés à l’article 46 CE, à savoir la protection de l’ordre public, de la sécurité publique ou de la santé publique.

80      Le gouvernement autrichien soutient que la présence du siège social sur le territoire national est nécessaire afin de permettre un contrôle efficace des jeux en ligne et que les autorités autrichiennes n’ont pas les mêmes possibilités de contrôle à l’égard des opérateurs économiques établis dans d’autres États membres. Il fait également valoir que la présence d’un commissaire d’État dans les organes de surveillance du titulaire du monopole, conformément à l’article 19, paragraphe 2, du GSpG, permet aux autorités nationales compétentes de surveiller effectivement les décisions et la gestion du titulaire du monopole. Ces autorités seraient ainsi en mesure de connaître ces décisions avant leur mise en œuvre et de s’y opposer si elles violent les objectifs de la politique nationale en matière de jeux. Selon ce gouvernement, lesdites autorités ne disposeraient pas des mêmes possibilités à l’égard d’un opérateur établi dans un autre État membre.

81      Ainsi qu’il a été relevé au point 53 du présent arrêt, MM. Dickinger et Ömer ainsi que le gouvernement maltais, s’appuyant en particulier sur l’article 14, paragraphe 5, du GSpG, font en revanche valoir que l’objectif principal de la législation en cause est celui d’augmenter les recettes fiscales générées par les jeux de hasard. Si l’interprétation de cette disposition de la législation nationale relève de la compétence de la juridiction de renvoi, il doit en tout état de cause être constaté qu’un système d’attribution de concessions fondé sur le critère de la maximisation des recettes pour le Trésor public, qui désavantagerait systématiquement les opérateurs établis dans des États membres autres que la République d’Autriche par le seul fait qu’un opérateur ayant son siège social sur le territoire autrichien serait susceptible de payer plus de taxes en Autriche qu’un opérateur établi dans un autre État membre, ne saurait être considéré comme compatible avec le droit de l’Union.

82      En ce qui concerne plus spécifiquement l’objectif de contrôle et de surveillance du titulaire du monopole et l’argument tiré de la nécessité d’assurer un contrôle efficace des opérateurs économiques, notamment par la présence de commissaires d’État, invoqués par le gouvernement autrichien, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’ordre public, d’une part, suppose une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société et, d’autre part, doit, en tant que justification d’une dérogation à un principe fondamental du traité, être interprétée de manière restrictive (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille, 115/81 et 116/81, Rec. p. 1665, point 8; Calfa, précité, points 21 et 23; du 20 novembre 2001, Jany e.a., C‑268/99, Rec. p. I‑8615, point 59, ainsi que du 22 décembre 2008, Commission/Autriche, C‑161/07, Rec. p. I‑10671, point 35 et jurisprudence citée).

83      Il incombe dès lors à la juridiction de renvoi de déterminer, premièrement, si les objectifs invoqués par le gouvernement autrichien sont susceptibles de relever de cette notion et, deuxièmement, le cas échéant, si l’obligation relative au siège social en cause dans le litige au principal satisfait aux critères de nécessité et de proportionnalité prévus par la jurisprudence de la Cour.

84      Notamment, la juridiction de renvoi devra vérifier si d’autres moyens moins restrictifs existent pour garantir un niveau de contrôle des activités des opérateurs établis sur le territoire d’États membres autres que la République d’Autriche équivalent à celui qui est susceptible d’être réalisé à l’égard des opérateurs dont le siège est situé sur le territoire autrichien.

–       Sur l’interdiction d’établir des succursales dans d’autres États membres

85      En vertu de l’article 15, paragraphe 1, du GSpG, le concessionnaire n’a pas le droit de créer des succursales en dehors du territoire autrichien.

86      Selon le gouvernement autrichien, cette interdiction ne fait que concrétiser l’idée selon laquelle il revient à chaque État membre de réglementer l’exploitation des jeux de hasard sur son territoire.

87      La liberté de chaque État membre de réglementer l’exploitation des jeux de hasard sur son territoire ne constitue toutefois pas, par elle‑même, un objectif légitime d’intérêt général pouvant justifier une restriction aux libertés fondamentales garanties par le traité.

88      Il convient, par conséquent, de constater qu’aucune justification valable de l’interdiction imposée au titulaire du monopole en cause au principal de créer des succursales en dehors du territoire autrichien n’a été invoquée devant la Cour.

 Sur la prise en compte des contrôles des opérateurs de jeux de hasard effectués dans d’autres États membres

89      Dans le contexte de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi se demande si les contrôles des opérateurs de jeux de hasard effectués dans d’autres États membres sont pertinents pour l’évaluation de la proportionnalité du choix du législateur national d’instaurer un monopole en ce qui concerne les jeux de casino sur Internet.

90      Il ressort du libellé de la troisième question que la juridiction de renvoi semble partir de la prémisse selon laquelle, d’une part, les intérêts réglementaires invoqués par l’État membre d’accueil, à savoir la République d’Autriche, pour justifier la restriction à la libre prestation des services en cause au principal sont déjà suffisamment pris en compte dans l’État membre d’établissement, en l’occurrence la République de Malte, et, d’autre part, les dispositions en vigueur dans cet État vont dans leur intensité même au-delà de celles applicables dans l’État membre d’accueil.

91      Le gouvernement maltais affirme, dans ce contexte, que l’État maltais a été le premier à avoir développé un système régulateur visant spécifiquement à contrôler et à surveiller les jeux de hasard sur Internet qui, tout en étant fondé sur les mêmes principes et objectifs que ceux caractérisant la réglementation des canaux traditionnels de commercialisation de ces services, a été conçu avec pour objectif de répondre aux risques intrinsèques liés à ces systèmes d’exploitation modernes. Les contrôles mis en place sur le territoire maltais iraient notamment au-delà de l’examen superficiel mis en place sur le territoire de Gibraltar dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité.

92      Par ailleurs, MM. Dickinger et Ömer, ainsi que le gouvernement maltais, font valoir que les jeux de hasard commercialisés par Internet peuvent être contrôlés d’une manière plus efficace que ceux commercialisés par des canaux traditionnels en raison de la traçabilité de la totalité des transactions réalisées sur support informatique, ce qui permet notamment de déceler facilement des opérations problématiques ou suspectes. En outre, en raison de la nécessité pour les consommateurs de disposer d’un compte bancaire pour le paiement des gains, il serait possible d’assurer une transparence accrue par rapport aux canaux de jeux traditionnels.

93      Les opérateurs maltais du groupe bet‑at‑home.com auraient fait l’objet de contrôles d’accès stricts impliquant un examen de leurs qualités professionnelles et de leur intégrité. Ces opérateurs demeureraient soumis au contrôle et à la surveillance continue des autorités maltaises compétentes pour réguler ce secteur, notamment la Lotteries and Gaming Authority. Cette dernière aurait toujours mis en œuvre des systèmes de régulation avancés et robustes, qui comprennent des contrôles sur les personnes impliquées ainsi que sur les systèmes et processus utilisés par l’opérateur.

94      MM. Dickinger et Ömer, ainsi que le gouvernement maltais, invoquent la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il n’est pas conforme à la libre prestation des services de soumettre un prestataire à des restrictions pour sauvegarder des intérêts généraux dans la mesure où ces intérêts sont déjà sauvegardés par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (voir, notamment, arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279/80, Rec. p. 3305, point 17; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C‑369/96 et C‑376/96, Rec. p. I‑8453, points 34 et 35, ainsi que du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, Rec. p. I‑607, point 38).

95      Ils font par conséquent valoir que, étant donné que les qualités et la probité professionnelles des filiales maltaises sont déjà garanties par les contrôles qui leur sont appliqués à Malte, il serait contraire à l’article 49 CE que les autorités autrichiennes les excluent du marché autrichien en raison de la prétendue poursuite de l’objectif de protection des joueurs contre des fraudes commises par des opérateurs de jeux de hasard.

96      Il convient de rappeler d’emblée à cet égard qu’aucune obligation de reconnaissance mutuelle des autorisations délivrées par les divers États membres ne saurait exister au regard de l’état actuel du droit de l’Union (arrêt Stoß e.a., précité, point 112). En effet, étant donné l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union de la réglementation du secteur des jeux de hasard et les divergences significatives entre les objectifs poursuivis ainsi que les niveaux de protection recherchés par les réglementations des différents États membres, le seul fait qu’un opérateur propose légalement des services dans un État membre, où il est établi et où il est en principe déjà soumis à des conditions légales et à des contrôles de la part des autorités compétentes de ce dernier État, ne saurait être considéré comme une garantie suffisante de protection des consommateurs nationaux contre les risques de fraude et de criminalité, eu égard aux difficultés susceptibles d’être rencontrées, dans un tel contexte, par les autorités de l’État membre d’établissement pour évaluer les qualités et la probité professionnelles des opérateurs (arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 69).

97      Par ailleurs, ainsi qu’il a été rappelé au point 46 du présent arrêt, la seule circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière, lesquelles doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités compétentes de l’État membre concerné et du niveau de protection qu’elles entendent assurer.

98      En effet, les différents États membres ne disposent pas nécessairement des mêmes moyens techniques pour contrôler les jeux de hasard en ligne et ne font pas forcément les mêmes choix à cet égard. Si le gouvernement maltais a lui-même affirmé que la République de Malte est le premier État membre à avoir développé un système régulateur visant spécifiquement à contrôler et à surveiller les jeux de hasard sur Internet, le fait qu’un niveau particulier de protection des consommateurs contre des fraudes de l’opérateur peut être atteint dans un État membre donné par l’application de techniques sophistiquées de contrôle et de surveillance ne permet pas de conclure que le même niveau de protection peut être atteint dans d’autres États membres ne disposant pas de ces moyens techniques ou n’ayant pas fait les mêmes choix. Un État membre peut, par ailleurs, légitimement être amené à vouloir surveiller une activité économique se déroulant sur son territoire, ce qui lui serait impossible s’il devait se fier à des contrôles effectués par les autorités d’un autre État membre au moyen de systèmes régulateurs qu’il ne maîtrise pas lui-même.

99      Par conséquent, la jurisprudence invoquée par MM. Dickinger et Ömer, ainsi que par le gouvernement maltais, selon laquelle il n’est pas conforme à l’article 49 CE de soumettre un prestataire à des restrictions pour sauvegarder des intérêts généraux dans la mesure où ces intérêts sont déjà sauvegardés dans l’État membre d’établissement n’est pas, en l’état actuel du développement du droit de l’Union, applicable dans un domaine comme celui des jeux de hasard, qui n’est pas harmonisé au niveau de l’Union et dans lequel les États membres jouissent d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne les objectifs qu’ils entendent poursuivre et le niveau de protection qu’ils recherchent.

100    Il convient par conséquent de répondre aux première et troisième questions que l’article 49 CE doit être interprété dans ce sens que:

a)      un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs dans le secteur des jeux de hasard peut être fondé à considérer que seule l’institution d’un monopole en faveur d’un organisme unique soumis à un contrôle étroit de la part des pouvoirs publics est de nature à permettre de maîtriser la criminalité liée à ce secteur et de poursuivre l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux et de lutte contre l’assuétude au jeu d’une façon suffisamment efficace;

b)      afin d’être cohérente avec l’objectif de lutte contre la criminalité ainsi que celui de réduire les occasions de jeu, une réglementation nationale instituant un monopole en matière de jeux de hasard permettant au titulaire du monopole de mener une politique d’expansion doit:

–        reposer sur la constatation selon laquelle les activités criminelles et frauduleuses liées aux jeux et l’assuétude au jeu constituent un problème sur le territoire de l’État membre concerné auquel une expansion des activités autorisées et réglementées serait de nature à remédier, et

–        ne permettre quela mise en œuvre d’une publicité mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers les réseaux de jeu contrôlés;

c)      la circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière, lesquelles doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités compétentes de l’État membre concerné et du niveau de protection qu’elles entendent assurer.

 Sur les dépens

101    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

1)      Le droit de l’Union, et en particulier l’article 49 CE, s’oppose à ce que soit sanctionnée pénalement la violation d’un monopole d’exploitation de jeux de hasard, tel que le monopole d’exploitation des jeux de casino commercialisés par Internet prévu par la réglementation nationale en cause au principal, si une telle réglementation n’est pas conforme aux dispositions de ce droit.

2)      L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il est applicable aux services de jeux de hasard commercialisés par Internet sur le territoire d’un État membre d’accueil par un opérateur établi dans un autre État membre nonobstant le fait que cet opérateur:

–        a mis en place dans l’État membre d’accueil une certaine infrastructure de support informatique telle qu’un serveur, et

–        se prévaut de services de soutien informatique d’un prestataire établi dans l’État membre d’accueil afin de fournir ses services à des consommateurs qui sont également établis dans cet État membre.

3)      L’article 49 CE doit être interprété dans ce sens que:

a)      un État membre cherchant à assurer un niveau de protection particulièrement élevé des consommateurs dans le secteur des jeux de hasard peut être fondé à considérer que seule l’institution d’un monopole en faveur d’un organisme unique soumis à un contrôle étroit de la part des pouvoirs publics est de nature à permettre de maîtriser la criminalité liée à ce secteur et de poursuivre l’objectif de prévention de l’incitation à des dépenses excessives liées aux jeux et de lutte contre l’assuétude au jeu d’une façon suffisamment efficace;

b)      afin d’être cohérente avec l’objectif de lutte contre la criminalité ainsi que celui de réduire les occasions de jeu, une réglementation nationale instituant un monopole en matière de jeux de hasard permettant au titulaire du monopole de mener une politique d’expansion doit:

–        reposer sur la constatation selon laquelle les activités criminelles et frauduleuses liées aux jeux et l’assuétude au jeu constituent un problème sur le territoire de l’État membre concerné auquel une expansion des activités autorisées et réglementées serait de nature à remédier, et

–        ne permettre que la mise en œuvre d’une publicité mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers les réseaux de jeu contrôlés;

c)      la circonstance qu’un État membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions prises en la matière, lesquelles doivent seulement être appréciées au regard des objectifs poursuivis par les autorités compétentes de l’État membre concerné et du niveau de protection qu’elles entendent assurer.

Matthieu Escande
Posté par :
Matthieu ESCANDE
Chercheur en Droit
Université de Toulouse I 
Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé