Droit des Jeux d'argent et de hasard: Les gains d’un joueur de poker professionnel sont imposables - CAA de PARIS, 2e chambre, 07/02/2017

17.4.17

Les gains d’un joueur de poker professionnel sont imposables - CAA de PARIS, 2e chambre, 07/02/2017



Un joueur de poker peut parvenir, grâce à l'expérience, la compétence et l'habileté à atténuer notablement le caractère aléatoire du résultat et accroître sa probabilité de percevoir des gains importants et réguliers. Dès lors, une pratique habituelle de ce jeu dans l'intention d'en tirer des bénéfices doit être regardée comme une occupation lucrative ou une source de profits.




CAA de PARIS

N° 16PA00358

Inédit au recueil Lebon

2ème chambre Mme BROTONS, président
M. Franck MAGNARD, rapporteur
M. CHEYLAN , rapporteur public
CS AVOCATS ASSOCIES, avocat

lecture du mardi 7 février 2017

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes. 

Par un jugement n°1501211/1-3 du 3 décembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande. 

Procédure devant la Cour : 

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2016, M.B..., représenté par Me A...C..., demande à la Cour : 

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 3 décembre 2015 ; 

2°) de prononcer la décharge ou à titre subsidiaire la réduction des impositions contestées ; 

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Il soutient que : 

- la procédure d'imposition suivie à son encontre est irrégulière dès lors que les gains résultant de la pratique du poker, jeu de hasard, n'entrent pas dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et ne sont pas imposables à l'impôt sur le revenu ; 

- les gains réalisés au jeu de poker ont déjà fait l'objet d'un impôt prélevé à la source par l'administration, et sont donc soumis à une double imposition ; 

- le jeu de poker étant un jeu de hasard, les gains en résultant ne constituent pas des bénéfices non commerciaux et ne sont, par suite, pas imposables au titre de l'article 92 du code général des impôts ; 

- la taxation des joueurs habituels de poker est contraire au principe d'égalité devant l'impôt ; 

- l'administration a fait application d'une doctrine modifiée et d'une jurisprudence postérieure aux années d'imposition et a, ainsi, méconnu le principe de non rétroactivité de la loi ; 

- la doctrine en vigueur (Doc Adm 5G-116 n°118) du 15 septembre 2000 ne permettait pas l'imposition du gain au poker ; - la pratique du poker par M. B...ne saurait être regardée comme professionnelle ; 

- c'est à tort que l'administration n'a pas pris en compte, pour la détermination des bénéfices non commerciaux imposables, les charges constituées par les sommes reversées à trois autres joueurs ; 

- il convient également de prendre en compte, au titre des dépenses effectuées en 2010, l'excédent d'impôt sur le revenu constaté par le service à la suite du contrôle réalisé au titre de l'année 2011 ; 

- le montant des revenus ne peut se voir appliquer la majoration de 25% prévue au 7° de l'article 158 du code général des impôts. 

Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2016, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête. 

Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés. 

Par une ordonnance du 11 octobre 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2016. 

Vu les autres pièces du dossier. 

Vu : 

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; 
- le code de justice administrative. 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. 

Ont été entendus au cours de l'audience publique : 
- le rapport de M. Magnard, 
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public. 



1. Considérant qu'à l'issue d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle et d'une vérification de comptabilité de son activité de joueur de poker, M. B...a été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2009 et 2010, en application des dispositions du 1 de l'article 92 du code général des impôts ; qu'il relève appel du jugement du 3 décembre 2015 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de ces impositions ; 

Sur le principe de l'imposition

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale : 

2. Considérant qu'aux termes du 1. de l'article 92 du code général des impôts : " Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. " ; 

3. Considérant, d'une part, que si le jeu de poker fait intervenir des distributions aléatoires de cartes, un joueur peut parvenir, grâce à l'expérience, la compétence et l'habileté à atténuer notablement le caractère aléatoire du résultat et à accroître de façon sensible sa probabilité de percevoir des gains importants et réguliers ; que, par suite, dès lors qu'une personne se livre à une pratique habituelle de ce jeu dans l'intention d'en tirer des bénéfices, lesdits bénéfices doivent être regardés comme tirés d'une occupation lucrative ou d'une source de profits au sens des dispositions de l'article 92 du code général des impôts, et imposables en application de cet article ; que les textes portant réglementation de la police des jeux, notamment des jeux en ligne, ainsi que la loi pénale du 12 juillet 1983, invoqués par le requérant, sont sans incidence sur l'application de la loi fiscale par le juge de l'impôt ; qu'il en est de même des dispositions de l'article 126 de l'annexe IV au code général des impôts, qui sont relatives à l'impôt sur les spectacles, jeux et divertissements ; que l'imposition à l'impôt sur le revenu des gains au poker résultant d'une pratique habituelle dans l'intention d'en tirer des bénéfices étant conforme aux dispositions de la loi fiscale, les moyens tirés de ce qu'elle se cumulerait avec d'autres taxes portant sur les mises effectuées et de ce qu'elle entrainerait une rupture d'égalité devant l'impôt, ne peuvent, en l'absence de toute argumentation de nature à remettre en cause les dispositions législatives appliquées au regard de normes juridiques supérieures, qu'être écartées ; que le joueur de poker ne subit pas, en tout état de cause, une double taxation de ses revenus du fait de l'acquittement de taxes qui ne sont pas assises sur les gains de jeu

4. Considérant, d'autre part, que l'imposition à laquelle M. B...a été assujetti a été établie sur le seul fondement des dispositions législatives précitées du code général des impôts, en vigueur à la date du fait générateur de l'imposition ; que la circonstance que cette imposition soit conforme à une doctrine administrative et à une jurisprudence postérieures aux années d'imposition en litige ne révèle, en tout état de cause, contrairement à ce qui est soutenu, aucune rétroactivité de la loi fiscale ; 

5. Considérant, enfin, qu'il est constant que M. B...a régulièrement fréquenté, entre 2007 et 2011, le cercle de jeux de l'Aviation Club de France, et a tiré de cette pratique, au titre de la période vérifiée, des gains réguliers et conséquents ; que selon ses propres indications, il a joué environ 150 jours par an en moyenne sur la période couvrant les années 2008 à 2011 ; qu'en outre, il a participé à des tournois recensés sur un site internet spécialisé, à l'issue desquels il a été classé, et a réalisé des gains importants ; qu'il a également conclu un contrat dit " de sponsoring " avec la société SAS LB Poker en 2010, renouvelé en 2011 et comportant le remboursement de frais de tournois et une rémunération qu'il a déclarée dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; qu'il n'a perçu aucun revenu professionnel pendant les deux années en cause, à l'exception, en 2009, de sommes reçues en rémunération de l'animation de soirées durant les tournois de poker pour un montant déclaré de 2 071 euros, et en 2010, de sommes versées en exécution du contrat de sponsoring susmentionné ; qu'il a d'ailleurs lui-même reconnu en 2009 jouer professionnellement au poker depuis trois ans et demie ; que, dans ces conditions, eu égard au caractère habituel de cette activité génératrice de revenus importants, et alors même que l'intéressé n'aurait participé qu'à sept tournois au cours des années concernées, que d'autres joueurs auraient des revenus très supérieurs, et que les opérations de sponsoring du type de celle en cause seraient des opérations publicitaires réalisées par les sponsors, M. B...doit être regardé comme ayant exercé, au cours des deux années en cause, une activité lucrative de joueur de poker lui procurant des profits réguliers imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux en application de l'article 92 précité du code général des impôts ; 

En ce qui concerne le bénéfice de la doctrine administrative : 

6. Considérant M. B...se prévaut de la documentation de base 5 G 116 (n° 118) du 15 septembre 2000, aux termes de laquelle : " La pratique, même habituelle, de jeux de hasard tels que loteries, tombolas ou jeux divers, ne constitue pas une occupation lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition au nom des personnes participant à ces jeux " ; que la doctrine ainsi invoquée, dont le juge de l'impôt est tenu de faire une application littérale, sans se livrer à son interprétation, ne fait pas mention du jeu de poker et ne définit pas la notion de jeu de hasard ; qu'elle ne contient, en conséquence, aucune interprétation formelle du texte fiscal différente de ce qui précède, dont M. B...puisse se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ; que la circonstance que la doctrine administrative ait évolué postérieurement aux années d'imposition, dans le sens de la taxation des gains réalisés au poker dans un cadre professionnel, est en tout état de cause inopérante ; Sur la régularité de la procédure d'imposition : 

7. Considérant que, pour contester la régularité de la procédure d'imposition, M. B...se borne à soutenir que le jeu de poker ne constitue pas une occupation lucrative dont les gains seraient imposables ; que, ce moyen, qui est d'ailleurs dépourvu de fondement ainsi qu'il a été dit aux points 2 à 5, est relatif au principe de l'imposition et est par suite sans influence sur la régularité de la procédure d'établissement de ladite imposition ; Sur le montant du bénéfice imposable : 

8. Considérant qu'aux termes de l'article 93 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice à retenir dans les bases de l'impôt sur le revenu est constitué par l'excédent des recettes totales sur les dépenses nécessitées par l'exercice de la profession (...) " ; 

9. Considérant que, pour contester le montant des impositions litigieuses, le requérant soutient que l'administration fiscale n'a pas tenu compte des versements effectués au profit de trois autres joueurs à l'issue d'un tournoi ayant eu lieu à Marrakech en décembre 2010 et constituant selon lui des charges déductibles ; que M.B..., qui ne saurait utilement se prévaloir à cet égard de la situation d'autres contribuables, ne produit aucun document permettant d'établir la réalité et la date de versements ayant la nature de dépenses nécessitées par son activité de joueur de poker ; qu'en tout état de cause de telles dépenses, dont l'intéressé soutient qu'elles ont été effectuées en 2011, ne sauraient, comme le demande le requérant, venir en déduction des bénéfices réalisés en 2010, et cela alors même qu'elles seraient afférentes à un gain réalisé au titre de l'année 2010 ; qu'aucune disposition légale ou réglementaire ne permet de prendre en compte, au titre des dépenses effectuées en 2010, l'excédent d'impôt sur le revenu constaté par le service à la suite du contrôle réalisé au titre de l'année 2011 ; 

Sur l'application de la majoration de 1,25 : 

10. Considérant qu'aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition : a) Qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion ou association agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater H, à l'exclusion des membres d'un groupement ou d'une société mentionnés aux articles 8 à 8 quinquies et des conjoints exploitants agricoles de fonds séparés ou associés d'une même société ou groupement adhérant à l'un de ces organismes. " ; 

11. Considérant que le coefficient multiplicateur de 1,25 prévu par les dispositions précitées s'applique aux revenus relevant des catégories qu'elles mentionnent et qui sont perçus par un contribuable qui n'a pas adhéré à un centre de gestion agréé ou à une association agréée ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, et contrairement à ce que soutient le requérant, M. B...était titulaire, au titre des années en cause, de revenus passibles de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; qu'il est par ailleurs constant que M. B...n'était pas adhérent d'un centre de gestion ou d'une association agréés ; que par suite, et sans qu'il puisse utilement se prévaloir de ce qu'il ne pouvait avoir conscience, au cours des années d'imposition, de la nécessité d'avoir à adhérer à un centre de gestion ou une association agréés, c'est à bon droit que l'administration fiscale lui a appliqué la majoration de 1,25 des revenus au titre de l'année 2010 ; 

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, les premiers juges n'étant pas tenus de répondre à tous les arguments développés par le requérant à l'appui de ses moyens, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que le requérant demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; 


DÉCIDE

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée. 

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...B...et au ministre de l'économie et des finances. 
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction nationale des vérifications nationales et internationales. 
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2017, à laquelle siégeaient : 
Mme Brotons, président de chambre, 
Mme Appèche, président assesseur, 
M. Magnard, premier conseiller. 
Lu en audience publique le 7 février 2017. 
Le rapporteur, F. MAGNARD Le président, 
I. BROTONS Le greffier, 
P. LIMMOIS 
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 
N° 16PA00358


Matthieu Escande
Matthieu ESCANDE

Avocat à la Cour - Attorney at Law
Docteur en Droit - Ph.D in Law










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