Droit des Jeux d'argent et de hasard: Paris sportifs et erreur manifeste (ACTE 2) : la Cour de cassation condamne à nouveau la FDJ

11.4.21

Paris sportifs et erreur manifeste (ACTE 2) : la Cour de cassation condamne à nouveau la FDJ

La Cour de cassation a de nouveau condamné la FDJ qui persistait à opposer une erreur manifeste pour ne pas payer les parieurs qui aurait valablement conclu un contrat avec elle. Cette décision s'inscrit dans un courant jurisprudentiel constant qui devrait chasser ce type de litige des prétoires.


CIV. 1 MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 mars 2021
Rejet non spécialement
motivé
Mme BATUT, président
Décision no 10201 F
Pourvoi no J 20-11.887
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE, DU 10 MARS 2021

La société La Française des jeux, société anonyme, dont le siège est 3-7 quai du Point du jour, 92100 Boulogne-Billancourt, a formé le pourvoi no J 20-11.887 contre l'arrêt rendu le 31 octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant à M.X, domicilié à.....défendeur à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations écrites de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société La Française des jeux, de la SCP Lesourd, avocat de M. X, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.

1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.

EN CONSÉQUENCE, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société La Française des jeux aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Française des jeux et la condamne à payer à M. X la somme de 3 000 euros ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt et un.


MOYENS ANNEXES à la présente décision

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société La Française des jeux.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit l'article 5.7 du règlement de FDJ pour l'offre de paris sportifs à cote proposée sur internet en vigueur entre le 25 juillet 2011 et le 29 juillet 2016 nul et non écrit, et d’avoir condamné FDJ à payer à M. X la somme de 3.818,10 euros en paiement des contrats de paris conclus et gagnés,

AUX MOTIFS QUE sur le refus de paiement fondé sur l’article 5.7 du règlement, six prises de pari par M. X ont fait l’objet d’un refus de paiement par la FDJ sur le fondement de la clause précitée : le
5 janvier 2015 (référence 902908195, mise de 65 euros à 17h20 sur le match de tennis opposant Messieurs Tomic et Kokkinakis et sur la victoire du premier), le 28 janvier 2015 (première mise de 50 euros à 18h40 sur le match de football de coupe d'Afrique, André Ayew meilleur buteur / référence 911409271, seconde mise de 50 euros à 18h41 sur le même match et meilleur buteur), le 25 avril 2015 (référence 947792520, mise de 200 euros à 22h06 sur le match de volley de championnat de Turquie, victoire de Bursa) et le 27 avril 2015 (référence 947792520, première mise de 35 euros à 14h53 sur le match de volley de championnat de Turquie, score exact 0-3, / référence 947793120, seconde mise de 40 euros à 14h55 sur le même match, même score) ; qu’aux termes de l’article 1174 du code civil dans sa version applicable aux faits de l’espèce, toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ; qu’aux termes de l’article 4 de la loi du 12 mai 2010 relative aux jeux d’argent et de hasard en ligne, le pari à cote s'entend d'un pari pour lequel l'opérateur propose aux joueurs avant le début des compétitions sportives des cotes correspondant à son évaluation des probabilités de survenance des résultats de ces compétitions sur lesquels les joueurs parient. Le gain est fixe, exprimé en multiplicateur de la mise et garanti aux joueurs par l'opération ; que l'article 5.7 du règlement de la société FDJ pour l'offre de paris sportifs à cote proposée en ligne dans sa version applicable au litige dispose qu’en “cas d'erreur manifeste portant sur tout ou partie des éléments constitutifs de l'offre de pari proposée aux joueurs au titre d'une manifestation sportive, la société de jeu se réserve le droit d'annuler tout ou partie des paris, pronostics ou prises de jeux concernés" ; que cette clause donne unilatéralement à la FDJ la faculté d’annuler un pari sur le constat
d’une erreur manifeste dont la définition et l’appréciation dépendent d’elle seule ; qu’il sera observé que le règlement ne donne pas d'exemples concrets d'erreurs manifestes ; qu’ainsi seul l’opérateur décide ou non d’invoquer des erreurs de cote dont il sera rappelé qu’elles ont été commises par lui même et non par un tiers et qu’elles sont exclusivement imputables à des défaillances de son organisation interne ; que l’application de cette clause dépend ainsi de la seule volonté de l'opérateur et ce en contradiction avec l'engagement pris de payer le pari à la cote convenue ; qu’il n’est pas anodin de retenir que le 11 septembre 2013, soit antérieurement aux paris pris par M. X, l’ARJEL écrivait à la FDJ en ces termes : “des parieurs ont signalé à l’Autorité de régulation des jeux en lignes que des opérateurs agréés pour les paris sportifs à cote, prétextant une erreur dans la fixation de la cote associée au pari, refuseraient de payer les gains acquis par le joueur et annuleraient le pari ou payeraient à une cote différente de celle enregistrée lors de prise de pari. Je souhaite attirer votre attention sur la pratique dénoncée qui s’avère incompatible avec la notion de pari à cote au sens de l’article 4 de la loi du 12 mai 2010 qui garantit au parieur le montant de son gain si le pari est gagnant” ; que la FDJ n’a pas modifié pour autant l’article 5-7 de son règlement, attendant pour le faire près de trois années ; qu’ainsi et sans qu’il soit nécessaire de rechercher si la clause est également abusive au sens du droit de la consommation, si les erreurs alléguées étaient ou non manifestes et si M. X mérite le qualificatif de “professionnel de la chasse aux erreurs”, il y a lieu de juger que la FDJ ne peut se prévaloir de cette clause purement potestative ;; que c’est donc la somme totale de 3818,10 euros que le tribunal a justement allouée à M. X (2063,75 + 1754,35 ) et contrairement à ce qui est soutenu par la FDJ, cette somme ne comprend pas de condamnation à paiement de gains se rapportant à des paris des 9 janvier et 9 février 2015 ;

1) ALORS QUE l’obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ; que la condition potestative est celle qui confère au débiteur de l’obligation la faculté discrétionnaire de ne pas exécuter son engagement, par une simple manifestation de volonté ; que la clause 5.7 du règlement de la Française des Jeux lui permettait d’annuler les paris en cas d’erreur manifeste portant sur tout ou partie des éléments constitutifs de l’offre de pari ; qu’il lui appartenait donc, pour se libérer, de justifier, le cas échéant sous le contrôle du juge, de l’existence d’une erreur manifeste, ce qui excluait tout caractère potestatif de la clause ; qu’il incombait en conséquence au juge saisi d’une contestation sur la mise en œuvre de la clause de procéder à l’appréciation de l’existence d’une erreur manifeste ; qu’en énonçant, pour s’abstenir de cette recherche, que la clause devait être annulée comme étant purement potestative, et en se référant de façon inopérante à une lettre de l’ARJEL dépourvue de toute valeur contraignante, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1174 du code civil dans leur rédaction applicable en l’espèce ;

2) ALORS QUE l’erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ; que la société Française des Jeux faisait valoir que si le contrat de pari est un contrat aléatoire, l’aléa ne porte que sur la réalisation du pronostic, et pas sur la cote qui est un paramètre convenu de la détermination du gain si l’aléa se réalise ; qu’elle ajoutait qu’en l’espèce l’erreur commise l’avait été dans l’expression de la cote offerte, procédant d’une défaillance humaine ou technique et qu’il s’agissait d’une erreur substantielle de nature à entacher de nullité les paris ; qu’en se bornant à énoncer, pour condamner FDJ à payer à M. X le montant de ses gains, qu’elle ne pouvait se prévaloir de la clause purement potestative figurant à l’article 5.7 du règlement, sans rechercher si l’erreur affectant les paris litigieux ne justifiait pas elle-seule leur annulation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1110 du code civil, devenu 1132 et 1133 du même code ;

3) ALORS QUE l’erreur est une cause de nullité de la convention lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet, peu important qu’elle soit le fait de celui qui l’invoque ; que la mauvaise foi du cocontractant qui profite d’une erreur dont il a parfaitement conscience lui interdit de se prévaloir du caractère éventuellement inexcusable de l’erreur commise ; que FDJ invoquait la mauvaise foi de M. X, qui s’était fait une spécialité, de concert avec l’un de ses collègues, de la recherche d’erreurs sur les sites de pari en ligne afin d’en tirer profit en pariant sans risque ; qu’en énonçant, pour condamner FDJ à payer ses gains à M. X, qu’il n’était pas nécessaire de rechercher si les erreurs alléguées étaient ou non manifestes, ni si M. X méritait le qualificatif de professionnel de la chasse aux erreurs, la cour d’appel a violé l’article 1110 du code civil, devenu 1132 et 1133 du même code, ensemble l’article 1134 alinéa 3 devenu 1104 du même code

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné FDJ à payer à M. X la somme de 3.818,10 euros en paiement des contrats de paris conclus et gagnés ;

AUX MOTIFS QUE, sur le refus de paiement fondé sur l’absence d’aléa, c’est à bon droit et à la faveur de motifs pertinents méritant adoption par la cour que les premiers juges ont condamné la FDJ à payer à M. X la somme totale de 1754,35 euros (329,35 + 1425) se rapportant à quatre prises de pari les 4 février et 26 juillet 2015 ; que les moyens développés par la FDJ à ce titre ne font que réitérer sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs exacts que la cour adopte sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE quatre prises de pari sont ici concernées, émises via internet ("Parions Web") le 4 février 2015 (référence 914013052, 6 10201 première mise de 185 euros à 17h20 sur le match de basket Krasny/Rome de l'Eurocoupe, Krasny gagne par au moins 2 points dans le premier quart temps / référence 914013668, deuxième mise de 105 euros à 17h21 sur le même match, moins de 36,5 points dans le premier quart temps / référence 914013668, troisième mise de 116 euros à 17h22 sur le même match, Krasny gagne par au moins 2 points dans le premier quart temps) et dans un point de vente ("Parions Sport") le 26 juillet 2015 (dix mises pour une somme totale de 1.500 euros entre 15h48 et 15h52 sur le match de football Pavlovar/Ordabasy du championnat du Kasakstan, match nul à la mi-temps) ; que le jeu et le pari sont des contrats aléatoires, conventions réciproques dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain (article 1964 du code civil). L'aléa, la non-réalisation du pronostic, doit exister au moment de la conclusion du contrat, au moment de la prise de pari de M. X ; que c'est ainsi que l'article 5.5 du règlement de la société FDJ pour l'offre de paris sportifs à cote proposée sur internet et l'article 5.4 règlement pour l'offre de paris sportifs à cote proposée en points de vente énoncent que "tout pari ou pronostic n'ayant pas de résultat sportif possible ou dont le résultat est déjà connu est annulé" ; que la société FDJ affirme que le match de basket de l'Eurocoupe Krasny/Rome du 4 février 2015 a démarré à 17h et que M. X, qui a pris des paris sur le premier quart temps entre 17h20 et 17h22, connaissait donc déjà les résultats ; que s'il peut être admis que le règlement de la Fédération Internationale de BasketBall (FIBA) posant qu'un match est subdivisé en quatre périodes de 10 minutes chacune fût applicable au match en cause, la société FDJ n'apporte pour justifier de l'heure de début du match qu'un extrait du site "Eurocupbasketball.com" indiquant pour le match en question "FEBRUARY 04, 2015 CET : 17:00" ; que ce document n'a cependant pas date ni objet certains et n'a aucune valeur probante ; qu’il n'est ainsi pas établi que le match ait débuté à 17h et qu'après 17h20, M. X connaissait les résultats du premier quart temps ; que la société FDJ reconnait ensuite et en tout état de cause qu'à la suite d'une erreur (de sa part), les paris sont restés ouverts jusqu'à 17h30 ; que la société FDJ ne prouve donc pas en l'espèce l'absence d'aléa lorsque M. X a émis ses paris sur le match de basket de l'Eurocoupe et si cette absence d'aléa existe, elle est imputable aux insuffisances de son organisation interne et parfaitement évitables, qui ne peuvent être considérées comme erreurs manifestes susceptibles d'entraîner l'annulation du pari ni d'une erreur viciant le consentement de l'opérateur ; que la société Française des Jeux sera en conséquence condamnée à payer à M. X les gains associés à ses prises de pari du 4 février 2015 (première mise de 185 euros, cote de 1,85, soit un gain de 157,25 euros / deuxième mise de 105 euros, cote de 1,7, soit un gain de 73,5 euros / troisième mise de 116 euros, cote de 1,85, soit un gain de 98,60 euros) soit la somme totale de 329,35 euros ; que la société FDJ affirme également que le match de football du 26 juillet 2015 Pavlovar/Ordabasy du championnat du Kasakstan a démarré à 15h et que M. X, qui a pris ses paris dans un point de vente sur la première mi-temps entre 15h48 et 15h52, connaissait déjà le résultat ; que là encore, la seule copie d'un extrait du site "flashresultats.fr", sans date ni objets certains, évoquant un match opposant Pavlodar contre Orabasy du "26-07-2015 2015 15:00", est insuffisante pour prouver la réalité du début du match à 15h et la fin de sa mi-temps à 15h45 ; que la société FDJ a bel et bien encaissé les mises de M. X avec erreur si le match démarrait à 15 heures, sans que celle-ci puisse constituer une erreur manifeste de sa part opposable au demandeur, dans le droit fil des développements qui précèdent ; que la société Française des Jeux sera en conséquence condamnée à payer à M. X les gains associés à ses 10 prises de paris du 26 juillet 2015, pour la somme totale de 1.500 euros (15 tickets à 100 euros), sur une cote de 1,95, soit un gain de 1.425 euros ;

1) ALORS QUE la preuve des faits peut être rapportée par tous moyens ; qu’en énonçant, pour dire que FDJ ne rapportait pas la preuve de ce que les matchs litigieux avaient déjà commencé lorsque M. X avait pris ses paris, que les documents qu’elle produisait n’avaient ni date ni objets certains et étaient donc dépourvus de valeur probante, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1341, devenu 1359 du code civil, ensemble par refus d’application les articles 1315 devenu 1353 et 1353
devenu 1382 du même code ;

2) ET ALORS QUE l’absence d’aléa est une cause d’annulation du contrat de pari, peu important que le défaut d’aléa soit dû à une négligence de celui qui s’en prévaut ; qu’en énonçant, pour condamner la Française des Jeux à payer à M. X le montant des paris litigieux, que si l’absence d'aléa existe, elle est imputable aux insuffisances de son organisation interne et parfaitement évitables, et que ces insuffisances ne peuvent être considérées comme des erreurs manifestes susceptibles d'entraîner l'annulation du pari ni comme viciant le consentement de l'opérateur, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et violé l’article 1104, devenu 1108 du code civil, ainsi que l’article 1131 ancien du code civil applicable en l’espèce.


 
Matthieu Escande
Matthieu ESCANDE

Avocat à la Cour - Attorney at Law
Docteur en Droit - Ph.D in Law