Droit des Jeux d'argent et de hasard: Les Skill Games seraient des loteries prohibées ?

14.10.11

Les Skill Games seraient des loteries prohibées ?

skill game
Les Skill Games seraient des loteries prohibées selon le gouvernement. Il s'agit de la réponse faite à la question du Sénateur Trucy à l'égard des jeux d'adresse. En effet, il ne rentre pas dans le champ d'application de la loi du 12 mai 2010 mais dans celui de la loi du 21 mai 1836.


Nous ne partageons pas l'avis du gouvernement sur cette question, selon laquelle les jeux d'adresse pourraient être des loteries prohibées, car ce n'est ni la lettre de la loi, ni ce qu'indique la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette réponse, au Sénateur Trucy, est par conséquent critiquable.

Voici la réponse du gouvernement : 

Réponse du Ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État 
publiée dans le JO Sénat du 13/10/2011 - page 2630

En effet, les « skill games » désignent des jeux qui font appel à l'intelligence ou à l'habileté des joueurs plus qu'au hasard. Ce type de jeux n'entre donc pas dans le cadre de la définition des jeux de hasard telle que définie par la loi du 12 mai 2010 qui précise en son article 2 qu'« est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain ». Néanmoins, les « skill games » ne sont pas autorisés par la législation en vigueur dans la mesure où, lorsqu'ils sont payants, ils peuvent constituer des loteries prohibées au sens de la loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries. Le délit de loterie est en effet constitué lorsque les quatre conditions suivantes sont remplies : présence d'une offre publique ; naissance de l'espérance d'un gain chez le joueur ; sacrifice financier de la part du joueur ; intervention du hasard, même partiellement, dans le déroulement du jeu. Aussi, un « skill game » qui fait intervenir l'intelligence des participants fait également intervenir le hasard, en particulier simplement parce que le hasard préside à la détermination des questions qui sont proposées à la sagacité du joueur. Même si le hasard ne prédomine pas, il y a donc loterie, prohibée au sens de la loi du 21 mai 1836, lorsque des « skill games » sont proposés au public et que les autres critères constitutifs d'une loterie sont remplis. Par contre, les « skill games » ne sont pas interdits lorsqu'ils sont proposés à titre complètement gratuit, à l'instar de tout jeu ne remplissant pas l'ensemble des conditions évoquées ci-dessus. Le rapport d'évaluation sur les conditions et les effets de l'ouverture du marché des jeux et paris en ligne que le Gouvernement doit adresser au Parlement, dans un délai de dix-huit mois à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, doit être l'occasion, pour le Gouvernement, de clarifier la situation des « skill games ». 

*
**

 Le gouvernement se fonde sur l'article 2 de la loi du 21 mai 1836 pour ranger les skill games parmi les loterie prohibées. "Sont réputées loteries et interdites comme telles: les ventes d'immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles auraient été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement au hasard et généralement toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort".

Premièrement, il ne semble pas, comme peut le penser le gouvernement, que les skill games (jeux d'adresse - nous supposons qu'il s'agit du commerce des jeux en ligne) engendrent la vente d'immeubles, de meubles ou de marchandise. Les skill games doivent être considérés plutôt comme des services ou un divertissement.

Deuxièmement, la notion de hasard : le législateur ne semble pas faire appel au test de la prédominance dans la loi relative à la prohibition des loteries. Il est écrit : "même partiellement au hasard". En conséquence, le hasard ne doit pas nécessairement prédominer sur l'adresse. Toutefois, la Cour de cassation a, à plusieurs reprises,  admis que la condamnation des prévenus résultait des conditions de réalisation de la loterie et que le hasard jouer un rôle important sur le résultat. (Cass. crim, 21 mai 1908, D. 1909, 1, p. 135 ; S. 1911, 1, p. 180 ; Gaz. Pal. 1908, 2, p. 61 – V. aussi Cass. crim., 9 janv. 1885, DP 1886, 1, p. 183 ; S.1885, 1, p. 404. – Cass. crim, 4 févr. 1941, DH 1941, p. 153 – T. corr. Seine, 15 déc. 1952, D 1953, p. 364 ; RDP 1953, p. 350 et la note ; Rev. sc. crim. 1953, p. 502, chron. P. Bouzat).

Troisièmement, s'agissant de l'espérance d'un gain dans les skill games. Il est a noté que l'espérance du gain n'est pas la fonction première de la pratique d'un jeu d'adresse. On ne joue pas forcément pour se procurer de l'argent, mais peut-être plus par plaisir ou défi. L'intervention de l'argent n'est qu'un élément accessoire et stimulant entre les joueurs.

Quatrièmement, l'intégration d'un jeu d'adresse dans le champ d'application de la loi portant sur les loteries se heurte à une objection irréfutable. Un jeu n'est tout simplement pas une loterie. Dans un jeu, les joueurs on l'occasion d'intervenir sur l'aléa, quel que soit le degré d'importance du hasard dans le jeu. En revanche, dans une loterie, personne n'a d'influence sur le résultat, le comportement du joueur est passif. Nous pourrions développer cet argument plus longuement, avec un grand nombre d'exemples dans lesquels nos tribunaux ont rendu des décisions. Sans entrer dans des considérations techniques, rapprocher une loterie à un jeu d'adresse montre une réelle contradiction de la part législateur.

Les jeux d'adresse (skill games) n'ont rien à faire avec la loi du 21 mai 1836 portant prohibition aux loteries. Les jeux d'adresse (en ligne) aurait dû, normalement, être visé par la loi du 12 mai 2010 relative au jeu et pari en ligne. Les jeux d'adresse n'ont jamais fait l'objet de prohibition et la loi du 12 mai 2010 en est la parfaite confirmation. L'article 2 de la loi du 12 mai 2010 dispose que : "est un jeu de hasard un jeu payant où le hasard prédomine sur l'habileté et les combinaisons de l'intelligence pour l'obtention du gain". Les skill games auraient dû être une exception dans la loi du 12 mai 2010. Aujourd'hui, ceci ne peut plus être modifié, car cela remettrait en cause la loi elle-même et son domaine d'application.

Le législateur de 2010 s'est précipité, préoccupé à légaliser ce qui était illégal, occultant alors la variété des jeux potentiellement exploitables. Désormais, le gouvernement s'accroche aux branches d'une législation hors de portée, dénaturant ainsi l'esprit de la loi de 1836.

Dès lors, il reste à savoir si, un procureur puis un tribunal sont prêts à suivre l'analyse du gouvernement.



Matthieu Escande
Posté par :
Matthieu ESCANDE
Chercheur en Droit
Université de Toulouse I 
Institut de Recherche en Droit Européen, International et Comparé